Avis aux producteurs de vin du monde entier: désormais, plus les bouteilles qui contiennent votre nectar seront légères, plus vous aurez de chances de les voir figurer sur les tablettes des succursales de la SAQ.

La société d'État s'apprête en effet à inclure des points pour le poids des bouteilles dans sa grille d'évaluation des appels d'offres. La raison: cette année seulement, elle prévoit payer 9 millions pour faire collecter et recycler le verre qu'elle met sur le marché.

«Nous avons une stratégie pour réduire la facture, et c'est la réduction du verre à la source», explique Renaud Dugas, porte-parole de la SAQ.

La société d'État est loin d'être seule à réagir pour tenter de réduire sa facture de recyclage. Depuis plusieurs années, les lois québécoises font en sorte que les frais de la collecte sélective sont graduellement transférés des municipalités aux entreprises. L'exercice s'est conclu le 1er janvier dernier, moment à partir duquel les entreprises ont dû assumer 100% de la facture. En clair, ça veut dire que les municipalités continuent d'organiser les collectes sélectives, mais qu'elles se font maintenant entièrement rembourser par les entreprises.

«C'est un transfert d'argent important, note Jeannot Richard, vice-président, opérations et développement, chez Recyc-Québec - une société du gouvernement provincial chargée de promouvoir et gérer la récupération des matières résiduelles. On parle de 100 millions de dollars et plus qui sont transférés des entreprises qui mettent en marché des contenants, des emballages, des imprimés et des journaux, vers les municipalités.»

L'affaire ne concerne pas que les matières que les entreprises mettent elles-mêmes au recyclage. Ce sont aussi les boîtes de conserve, cartons d'emballage et autres journaux que les citoyens mettent chaque semaine dans leur bac de recyclage qui sont touchés.

C'est Éco Entreprises Québec, un organisme sans but lucratif, qui se charge de retrouver quelle entreprise a fabriqué, distribué ou vendu chacun des éléments contenus dans les bacs, puis d'envoyer la facture au responsable. L'organisme se base en fait sur les déclarations des entreprises et utilise une grille tarifaire assez complexe. Règle générale, plus les emballages, contenants et imprimés mis en circulation sont difficiles à recycler, plus la note sera salée pour les entreprises qui les ont mises en marché.

Pour les grands détaillants comme les pharmacies et les supermarchés, qui vendent un nombre astronomique de produits emballés et de contenants recyclables, la facture peut s'avérer salée.

«C'est une somme d'argent très importante, dit Marie-Claude Bacon, porte-parole de l'épicier Metro, qui parle de plusieurs millions de dollars par année. C'est exponentiel, et on n'a pas beaucoup de contrôle là-dessus.»

Comme d'autres, Métro a réagi comme il a pu. L'épicier a notamment réduit l'emballage de ses produits de marque maison, et incité ses clients à utiliser des sacs réutilisables pour transporter leurs denrées. Il utilise aussi des barquettes plus minces pour emballer ses fruits et légumes frais, et privilégie les matériaux plus facilement recyclables.

«On voit des initiatives communes entre les manufacturiers et les distributeurs pour réduire et modifier les emballages», dit à ce sujet Nathalie St-Pierre, vice-présidente, Québec, pour le Conseil canadien du commerce de détail.

Johanne Gélinas est associée, conseil, stratégie et performance, chez Raymond Chabot Grant Thornton. Son métier: aider les entreprises à implanter des démarches de développement durable. Elle note que les factures de collecte sélective s'ajoutent à une foule d'autres frais que doivent assumer les entreprises, notamment pour gérer les produits en fin de vie jugés nocifs pour l'environnement. Et ces frais font changer les pratiques.

«Pour certains, on est à l'étape du réveil brutal, lance-t-elle. Aujourd'hui, si on n'a pas d'approche structurée pour gérer les matières résiduelles, ça va nous coûter pas mal cher. Et avec la réglementation qui devient plus sévère chaque année, les coûts n'iront pas en diminuant non plus.»

Ces frais, évidemment, les entreprises les refilent bien souvent à leurs clients.

«Il ne faut pas se leurrer: au bout du compte, c'est le consommateur qui paie», admet d'emblée Mme St-Pierre.

Une situation dont Recyc-Québec est bien consciente.

«Avant, c'était le citoyen qui payait le coût de la collecte sélective via son compte de taxes, dit Jeannot Richard, de Recyc-Québec. Là, c'est le consommateur qui paie.»

Une interprétation cependant contestée par plusieurs.

«Si les municipalités avaient baissé leurs taxes, on pourrait parler d'un transfert. Actuellement, j'ai plutôt l'impression que les citoyens paient en double», dit un dirigeant d'un important éditeur québécois.

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La facture ne passe toujours pas

«On comprend qu'il faut recycler, on accepte la légitimité du processus et on est prêts à faire notre part, a dit à La Presse Affaires Robert Goyette, éditeur de Sélection du Reader's Digest. Mais on n'est pas prêt à payer une facture qui est injuste.»

L'Association québécoise des éditeurs de magazines estime que ses membres devront payer 10,56 millions de dollars pour les années 2010, 2011 et 2012. Selon les calculs des éditeurs, les tarifs imposés par Québec pour 2010 représentaient pour eux la somme de 262,04$ la tonne de papier, contre une facture de 9,70$ la tonne en Ontario. L'écart des tarifs entre les deux provinces s'est rétréci pour l'année 2013 pour atteindre 199,66$ la tonne au Québec et 64,70$ la tonne en Ontario, toujours selon l'Association.

«Ce qu'on dit, c'est que la répartition des coûts entre les producteurs de contenants et emballages, des imprimés et des journaux a été faite de façon arbitraire. On prétend aussi que les coûts sont inéquitables et qu'ils représentent dans les faits une taxe déguisée», dit Robert Goyette.

Les éditeurs de magazines ne digèrent toujours pas la facture qui leur est refilée pour la collecte sélective, qu'ils jugent «inéquitable». Les quatre plus grands éditeurs québécois, Transcontinental, Rogers, Québecor Media et Reader's Digest, ont déposé une poursuite judiciaire cet été pour tenter de faire modifier la loi.

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Les grille-pain de la discorde

Grille-pain, bouts de tapis, boyaux d'arrosage... On retrouve toutes sortes de choses dans les bacs de recyclage, dont bien des matières qui n'ont rien à y faire. Et la question de savoir qui doit payer pour les transporter et s'en départir fait des flammèches.

Puisque la facture du recyclage est actuellement assumée par les entreprises, ce sont elles qui paient indirectement pour les erreurs de tri des citoyens. Une situation que dénonce autant le Conseil canadien du commerce de détail que les éditeurs de magazines.

Le 9 janvier dernier, Québec a tenté de couper la poire en deux en déposant un projet de règlement qui propose de séparer le coût de gestion des fameuses «matières orphelines» à parts égales entre les municipalités et les entreprises.

Le Conseil canadien du commerce de détail dit vouloir se donner du temps pour étudier le projet de loi, mais de toute évidence, la nouvelle proposition ne le séduit pas.

«Notre position ne change pas: nos membres n'ont pas à payer pour des matières dont ils ne sont pas responsables», réitère Nathalie St-Pierre, vice-présidente pour le Québec au Conseil canadien du commerce de détail.

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Au-delà du bac

En plus des matières recyclables visées par la collecte sélective (emballages et contenants de plastique, carton et verre, ainsi que les imprimés), les entreprises qui mettent en marché certains produits jugés nocifs pour l'environnement doivent aussi payer pour s'assurer qu'ils sont récupérés et revalorisés de façon sécuritaire.

«Les entreprises ont le choix de le faire sur une base individuelle, ou de se regrouper pour le faire sur une base collective», précise Jeannot Richard, de Recyc-Québec.

Ce programme, appelé «responsabilité élargie des producteurs», visait d'abord les huiles et les peintures, mais Québec en élargit sans cesse la portée en y incluant régulièrement d'autres produits.

Depuis le 14 juillet dernier, les piles, les lampes au mercure, les appareils électroniques comme les ordinateurs et les téléviseurs ainsi que les antigels et les nettoyeurs à frein se sont ajoutés à la liste de produits qui doivent être pris en charge en fin de vie par ceux qui les commercialisent.

En 2013, les pneus et une nouvelle catégorie d'appareils électroniques devraient s'y ajouter.

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COMPENSATION VERSÉE AUX MUNICIPALITÉS PAR ENTREPRISES

(En pourcentage des coûts de la collecte)

Avant 2010 50%

2010 70%

2011 80%

2012 90%

2013 100%

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