Les gens d'affaires ont craint le pire au moment du départ canon du gouvernement Marois, qui avait des allures d'improvisation. Les entrepreneurs constatent cependant que l'équipe péquiste a su s'ajuster après avoir entendu les critiques. Bilan d'une rentrée mouvementée, sur le front économique, pour Pauline Marois et ses troupes.

Après avoir craint le pire, le monde des affaires pousse un grand soupir de soulagement après les 100 premiers jours de pouvoir du gouvernement Marois, mais il le trouve difficile à suivre.

Le recul du gouvernement sur l'impôt rétroactif et son engagement à éliminer le déficit ont en quelque sorte sauvé une relation qui s'annonçait orageuse entre les milieux d'affaires et le nouveau gouvernement. «Le gouvernement a écouté les préoccupations des PME, a dit Martine Hébert, porte-parole pour le Québec de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI). On a été très contents qu'il recule sur l'impôt rétroactif et l'imposition des dividendes.»

Inquiets de ce qu'ils avaient entendu pendant la campagne électorale, les membres du Conseil du patronat l'ont été encore plus en écoutant les premières déclarations des ministres nouvellement nommés. «Dans le premier mois, le discours renforçait nos craintes», dit Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec (CPQ), en pensant aux changements annoncés à la fiscalité et au régime minier, au gaz de schiste, à la centrale nucléaire Gentilly-2.

Heureusement, selon lui, le retour en Chambre a forcé le gouvernement à prendre conscience de son statut minoritaire et à faire preuve d'un peu plus de pragmatisme. «Il s'est mis à l'écoute», constate Jean-Thomas Dorval, qui estime que le statut minoritaire du gouvernement a joué en faveur du milieu des affaires.

Les patrons peuvent pousser un soupir de soulagement, dit le président du CPQ, mais il faut quand même constater que le gouvernement Marois a réussi à faire avancer les projets qui lui tiennent à coeur. Un exemple? L'augmentation du fardeau fiscal des plus riches. «Nous, on pense qu'il y a saturation de l'impôt à tous les niveaux de revenus», dit-il.

Difficile à suivre

La nouvelle équipe aux commandes du gouvernement est difficile à suivre, estiment par ailleurs les porte-parole interrogés hier, et pas seulement à cause du rythme d'enfer qu'elle a imposé dès le lendemain des élections.

Les entreprises du secteur du pétrole et du gaz, par exemple, retiennent surtout les déclarations contradictoires de la ministre des Ressources naturelles et de la première ministre Marois sur la question du gaz de schiste.

Finalement, rien n'a changé sur ce front, constate avec soulagement Dave Pepin, vice-président de Junex, la petite entreprise qui détient la plus grande partie des permis d'exploration pétrolière et gazière au Québec. «On attend toujours les résultats de l'évaluation environnementale stratégique», explique-t-il.

Du côté du pétrole, l'ouverture du gouvernement est plus qu'encourageante pour l'industrie, estime M. Pepin. «Les signaux sont assez clairs que le gouvernement veut développer ce secteur dans une perspective d'enrichissement collectif», dit-il.

Le président des Manufacturiers exportateurs du Québec, Simon Prévost, souligne que le gouvernement n'était pas bien préparé à prendre le pouvoir et qu'il a agi avec trop de précipitation.

«Ça se replace, mais ça a créé un climat de grande incertitude», estime-t-il.

Comme la FCEI et le CPQ, le porte-parole des Manufacturiers et exportateurs du Québec a été rassuré par le discours d'ouverture de Pauline Marois et par le budget qui a suivi.

Ce premier budget axé sur l'augmentation des investissements privés, la croissance des exportations et le développement de l'innovation est un programme auquel Simon Prévost et les entreprises qu'il représente souscrivent entièrement.

«Je donnerais un A au gouvernement pour sa vision économique, qui nous rejoint, et un D pour la manière dont ç'a été livré», résume-t-il.

Toujours inquiets

Même si le gouvernement de Pauline Marois a montré qu'il savait écouter et qu'il n'avait pas peur de reculer, les gens d'affaires restent inquiets pour la suite des choses.

Toute la question du développement des richesses naturelles, par exemple, inquiète au plus haut point la présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec, Françoise Bertrand. «Ce n'est pas seulement la question des redevances minières, mais toute la question des autorisations», précise-t-elle.

Mme Bertrand revient d'une tournée dans les régions qui lui a prouvé à quel point l'incertitude peut paralyser l'économie. «Beaucoup de projets sont sur la glace», assure-t-elle.

Ce dont les entreprises ont le plus besoin, c'est de prévisibilité. Les changements à venir au régime minier, qui venait d'être modifié par le gouvernement précédent, ne font rien pour améliorer le climat, selon elle.

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Finances publiques: les coûts de l'équilibre

Tant en campagne électorale que dans les jours suivant la prise du pouvoir, l'équipe de Pauline Marois s'est engagée non seulement à maintenir le retour à l'équilibre budgétaire en 2013-2014, mais aussi à contenir le déficit de 2012-2013 à 1,5 milliard, comme l'avait visé le gouvernement libéral au printemps.

Le budget présenté par Nicolas Marceau le mois dernier a reflété cet engagement. Il a aussi précisé que des dépassements de dépenses de plusieurs centaines de millions, jumelés à des recettes moins élevées que prévu en raison d'une croissance économique plus faible, ont été observés.

Le budget Marceau a augmenté les taxes sur l'alcool et le tabac et reconduit la contribution exigée des institutions financières. Cela lui permet de compter sur des revenus nouveaux de 95 millions pour l'exercice en cours.

Le gros de l'effort doit cependant venir du côté des dépenses, dont il faut stopper net la progression. M. Marceau a prévu des dépenses de programmes de 62,6 milliards en 2012-2013, soit la même somme qu'on trouvait dans le budget de Raymond Bachand. S'il y a eu dépassements de plusieurs centaines de millions durant les huit premiers mois de l'exercice, cela suppose des coupes franches proportionnelles d'ici le 31 mars. C'est ce qu'a annoncé le président du Conseil du Trésor, Stéphane Bédard, la semaine dernière. Comme en matière de revenus, la rétroactivité n'est pas faisable en matière de dépenses. C'est dire que l'hiver sera très difficile dans la plupart des ministères. Au point où les nouvelles compressions exigées pour 2013-2014 afin d'atteindre l'équilibre budgétaire auront presque l'air d'un baume, qu'on pourra étaler sur 12 mois.

Le déficit budgétaire de Québec sera limité à 1,5 milliard en 2012-2013. - Rudy Le Cours

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Ressources naturelles: un départ canon, puis le statu quo


Le gouvernement péquiste a commencé son mandat de façon percutante dans le secteur des ressources naturelles. La ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, a rejeté l'exploitation du gaz de schiste, position par la suite nuancée par Pauline Marois, puis le gouvernement a annoncé la fermeture de la centrale nucléaire Gentilly-2, décision décriée par les intervenants locaux.

Le gouvernement a pris ses distances par rapport au Plan Nord, associé au gouvernement Charest. La ministre Ouellet a appelé à un changement dans la gestion du développement nordique et des relations avec les minières. Elle donne désormais en exemple la renégociation de l'entente pour la route des monts Otish avec la société minière Stornoway, qui hausse la participation de l'entreprise privée.

Le gouvernement Marois a aussi été remarqué par ce qu'il n'a pas fait pendant ces 100 jours. Il a reporté la modification du régime de redevances, sa principale promesse dans le secteur minier. La mesure brillait par son absence dans le budget du 20 novembre et le gouvernement a plutôt annoncé une nouvelle ronde de consultations. L'industrie a poussé un soupir de soulagement, mais les groupes critiques ont été déçus. La Coalition pour que le Québec ait meilleure mine a manifesté son inquiétude devant « l'inaction» du gouvernement Marois, qui n'a toujours pas relancé non plus la réforme de la Loi sur les mines, pourtant discutée depuis trois ans à l'Assemblée nationale. Un nouveau projet de loi devrait être déposé d'ici juin.

Le seul projet de loi en matière de ressources naturelles présenté par le gouvernement concerne la forêt. Il s'agit essentiellement de modalités pour l'application du nouveau régime forestier, le 1er avril 2013.

Le PQ avait promis l'instauration d'une redevance sur la valeur du minerai extrait au Québec. Aucun changement n'a été apporté. - Hugo Fontaine

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Finances personnelles: le PQ a mis de l'eau (et des taxes) dans son vin

Durant la campagne électorale, le Parti québécois avait promis d'abolir la contribution santé, jugée «régressive» parce que tous les adultes devaient verser 200$, peu importe leurs revenus. Pour compenser la perte de revenus, Pauline Marois voulait augmenter les impôts des plus riches à 31%, ce qui aurait porté le taux combiné fédéral-provincial à 55,2% au-delà de 250 000$.

Mais une fois élu, le nouveau ministre des Finances, Nicolas Marceau, a soulevé un concert de protestations en dévoilant que la hausse d'impôt serait applicable à l'année 2012 presque entièrement écoulée. Une hausse rétroactive, en quelque sorte. Le gouvernement minoritaire a dû mettre de l'eau dans son vin... qu'il a d'ailleurs décidé de taxer davantage, tout comme la cigarette.

Finalement, l'augmentation d'impôt ne s'appliquera qu'à partir de 2013. Et la hausse sera de 1,75 point de pourcentage, au lieu de 7 points. Dès l'an prochain, les hauts salariés verront leur taux d'imposition passer de 24% à 25,75% sur les revenus excédant 100 000$. En tenant compte de l'impôt fédéral, leur taux d'imposition maximal atteindra 49,97%, juste sous le seuil psychologique de 50%.

Mais le PQ a dû renoncer à l'abolition complète de la taxe santé. Il a plutôt choisi de la rendre plus progressive. Pour les gens qui gagnent moins de 42 000$, la taxe baissera de 200$ à 100$. Pour ceux qui gagnent entre 130 000$ et 150 000$, elle s'élèvera à entre 200$ et 1000$. Par la bande, ceux-ci se retrouveront donc avec un taux d'imposition marginal de 54%.

Pour la classe moyenne, c'est le statu quo: la taxe restera à 200$. Prix de consolation: les familles profiteront du nouveau crédit d'impôt pour les activités des enfants (100$ maximum par année). Et la hausse du tarif de l'électricité (environ 120$ par année) sera moins élevée que prévu par l'ancien gouvernement.

Le nouveau taux d'impôt fédéral-provincial sur les revenus de plus de 100 000$. - Stéphanie Grammond

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Régions: rien pour Montréal

À quoi ça sert d'avoir un ministre responsable de Montréal s'il n'a ni programme ni projet à faire avancer? Le premier budget du gouvernement Marois a été remarqué pour son absence totale de préoccupation envers la métropole québécoise. «Nous regrettons que le ministre soit demeuré muet sur la place stratégique qu'occupe la métropole dans le développement économique de l'ensemble du Québec», a déploré le président de la chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, après avoir pris connaissance du budget déposé par Nicolas Marceau.

En fait, plusieurs mesures de restriction budgétaire risquent de faire mal à Montréal, plutôt que de l'aider à résoudre ses problèmes. Ainsi, la réduction du budget consacré aux infrastructures, qui passe de 12 à 10,5 milliards, aura des impacts négatifs à Montréal, où les besoins sont les plus criants, a déploré le maire par intérim, Michael Applebaum.

Hier, le ministre responsable de la métropole, Jean-François Lisée, a expliqué devant la tribune du Regroupement des jeunes chambres de commerce pourquoi il était, selon ses mots, «montréalo-optimiste». Il y a été question de transports collectifs, de nouvelles vocations à découvrir pour les grands hôpitaux désertés comme le Royal Victoria et le CHUM, du 375e anniversaire de la ville qui sera célébré en 2017, mais pas d'un plan d'ensemble que le milieu réclame à cors et à cris.

Aucun projet spécifique n'a encore été annoncé pour la métropole. - Hélène Baril