«Combien de temps est-on prêts à encourager la production porcine de façon artificielle? demande Christine Gingras, agronome et directrice générale adjointe de Nature Québec. Comme société, j'ai l'impression qu'on a plus envie d'aider la diversification en agriculture que de produire du porc de masse, à un coût qui sera toujours plus élevé qu'au Brésil.»

Investir 2 milliards dans un secteur porcin en difficulté, comme l'a fait Québec depuis 2000, «c'est incroyable et faramineux, juge Mme Gingras. Force est de constater qu'on ne peut pas mettre tous nos oeufs dans le même panier.»

Au contraire, le porc rapporte gros en retombées économiques, soutient David Boissonneault, président de la Fédération des producteurs de porcs.

Le porc, «c'est 25 600 emplois directs et indirects au Québec et une contribution de 2,25 milliards au produit intérieur brut, indique-t-il. Même la pire année, ça vaut le coût d'investir.»

La première analyse complète du cycle de vie de la production porcine, avec empreinte carbone et bilan socioéconomique, sera dévoilée par la Fédération la semaine prochaine.

«Il y a beaucoup d'emplois en aval et en amont de la production de porcs», fait valoir Robert Brunet, directeur général des productions animales à la Coop fédérée, qui met en marché 1,2 million de porcs par an. Le Québec est un producteur de céréales, qu'on utilise tant que le secteur porcin est vivant et en santé. À défaut de quoi, il faudra les exporter.

«Tous les pays subventionnent leur agriculture», plaide également Luc Ménard, directeur de la production porcine chez F. Ménard/Agromex. Les autres productions, comme les oeufs, le lait ou le poulet, «sont aussi subventionnées en quelque sorte, par l'entremise de la gestion de l'offre, ajoute-t-il. On les paie plus cher qu'ailleurs.»

Une aide à toutes les fermes

Inéquitable: c'est plutôt ainsi que Mario Dumais, économiste agricole et chercheur associé à l'Institut économique de Montréal, décrit le programme d'assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA).

«On taxe les gens des autres secteurs économiques, aux revenus moyens moindres, pour permettre à des fermes non viables de survivre, dénonce-t-il. On offre une forme de garantie de prix, ce qui n'existe plus dans aucun pays. Si le secteur touristique est victime du mauvais temps, va-t-on le compenser?»

Il faut mettre fin à l'ASRA, tranche M. Dumais. Puis, aider les fermes dont le revenu net baisse sous l'équivalent de 70% de leur revenu moyen des cinq dernières années. «Si on a un programme d'aide financière, il doit être offert à toutes sortes de fermes, estime-t-il. À l'heure actuelle, les éleveurs de moutons ont droit à l'ASRA, mais pas les éleveurs de chèvres! C'est injuste et scandaleux.»

Miser sur l'accord de libre-échange Canada-Europe

M. Boissonneault soutient qu'il faut investir maintenant, pour profiter de la remontée des prix. «Il va y avoir des périodes rentables, la viande porcine est toujours en demande dans le monde, souligne-t-il. On ne peut pas prendre de retard sur nos compétiteurs.»

Michel Morisset, professeur au département d'économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l'Université Laval, croit aussi en l'avenir. «On n'arrêtera pas de produire du porc, ni au Canada, ni aux États-Unis, affirme-t-il. On en produira même quand l'Europe aura arrêté de le faire.»

Actuellement en négociation, l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Europe donnera à notre porc l'accès à un nouveau marché de 500 millions de personnes. «Ce sera extrême payant», prédit M. Morisset.