Si vous croyez qu'un bon entrepreneur est quelqu'un qui prend son métier à coeur, qui adore autant ses produits que ses clients et qui déborde de fierté pour son entreprise, placez Raphaël Lefebvre-Aubry au sommet de votre liste.

Vrai, le jeune homme de bientôt 18 ans n'a pas le profil type de l'homme d'affaires. Ce qui le distingue se cache dans ses gènes. Alors que les cellules de la plupart des gens contiennent deux chromosomes 21, les siennes en comptent 3. En clair: Raphaël Lefebvre-Aubry souffre de trisomie 21, un handicap intellectuel.

N'allez pas croire que ça lui donne des complexes. «C'est moi le patron. J'aime ça!», a-t-il dit à La Presse Affaires avec un immense sourire.  

Nous avons rencontré M. Lefebvre-Aubry dans le garage familial de Laval où il gère une partie des activités de Bööm-Hop, entreprise qui loue des jeux gonflables aux particuliers et aux entreprises qui organisent fêtes, mariages et autres épluchettes.  

Le flash derrière la société, c'est lui qui l'a eu.

J'ai eu l'idée dans une fête d'enfants de l'une de mes soeurs», précise-t-il.  

Le rêve aurait facilement pu être ignoré. Mais il est tombé en terreau entrepreneurial fertile. La mère de Raphaël, Chantal Aubry, est à la tête de sa propre boîte de marketing. Son amoureux est aussi entrepreneur.

Raphaël nous avait fait la demande de travailler, mais ce n'est pas courant pour les entreprises d'embaucher des jeunes avec des handicaps. Alors, quand il nous est arrivé avec les jeux gonflables, on avait des frissons. On s'est dit que ça pouvait marcher», raconte Chantal Aubry.  

Elle a élaboré un plan d'affaires et fait des études de marché. Après plusieurs mois de réflexion, la famille a décidé d'embarquer.

Raphaël a trouvé le nom de l'entreprise à partir des sons produits quand on se lance dans un jeu gonflable.  

Le 16 avril 2011, Bööm-Hop servait son premier client.

Je veux amuser les gens. Surtout les enfants», dit Raphaël.  

Dans le garage rempli de compresseurs et de jeux soigneusement pliés, le jeune homme pointe un tableau où ses tâches sont écrites. Des pictogrammes l'aident à s'y retrouver. C'est lui qui prend les commandes, accueille les clients et leur remet les jeux. Au retour, il inspecte, lave et range le matériel.

Mes jeux préférés sont le grand Spider-Man et le bateau pirate», tient-il à préciser.  

Les affaires ont décollé au point où Bööm-Hop a dû engager un employé. L'entreprise a jeté son dévolu sur autre jeune avec un handicap intellectuel, se donnant du même coup une deuxième mission: faire de l'insertion en emploi auprès des jeunes handicapés.

Les chiffres sont un univers abstrait pour Raphaël, et c'est donc sa mère Chantal qui gère les budgets. Aujourd'hui, Bööm-Hop possède pour 40 000$ de jeux gonflables et a dépassé le seuil de rentabilité.  

Raphaël, lui, est la force créative. Il raffole des jeux gonflables et se rend régulièrement sur l'internet pour en découvrir de nouveaux. Le matin de notre rencontre, il avait repéré un jeu de baby-foot géant qu'il veut intégrer à Bööm-Hop.

Le jeu coûte plusieurs milliers de dollars, alors c'est là que j'entre en ligne de compte, explique sa mère. Mais vous savez quoi? Pour les entreprises qui veulent faire des fêtes d'employés, je crois que ça peut être intéressant. On se nourrit vraiment de l'intuition et de la naïveté de Raphaël, et souvent c'est notre meilleur guide.»

Ce que Raphaël aime le moins de son métier d'entrepreneur? La pluie, qui l'empêche de travailler. Quant à l'aspect le plus intéressant, il le désigne dans hésitation.

L'argent!, s'exclame-t-il. Je veux partir en appartement. Et me marier.» Encore une fois, il ne s'agit pas que de rêves. Karine, une jeune fille atteinte comme lui de trisomie 21, a accepté sa demande en mariage l'an dernier. Heureux à la fois en amour... et en affaires? Ce n'est pas le seul mythe qu'aura contribué à faire tomber Raphaël Lefebvre-Aubry.