Inexistants il y a quelques années, les skis et les planches à neige «made in Québec» sont désormais une réalité. La fabrication d'équipement de glisse connaît en effet un essor dans la Belle Province. Alt, Raccoon, Stanston, Xalibu, Altai, et autres Republic font partie de cette nouvelle filière de «micromarques» qui est en train de se tailler une place sur la planète ski.

Bien sûr, ces petits joueurs n'ont rien à voir avec les multinationales Rossignol, K2 ou Fischer. Ils ne produisent qu'en très petite quantité. Et, dans la plupart des cas, ils ne disposent pas d'installations et font plutôt appel à des sous-traitants. Qu'à cela ne tienne, les skieurs et planchistes qui cherchent des produits uniques ou à tirage limité peuvent désormais s'approvisionner ici même au Québec. Que ce soit pour le freestyle, la randonnée alpine ou le ski alpin traditionnel.

Et ça fonctionne! «Une dame de Toronto qui n'a vu nos skis que sur l'internet vient de m'en commander une paire. Elle va les offrir à son mari pour Noël», explique avec enthousiasme Sébastien Moquin, copropriétaire de la marque Raccoon, dont les skis se détaillent 1000$ sans fixations.

Raccoon ne fabrique que 100 paires de skis par année. Pour Sébastien Moquin, propriétaire d'une boutique de vélo à Outremont, et son partenaire d'affaires, Jonathan Bourgeois, président d'un important fabricant d'armoires de cuisine, c'est ce phénomène de rareté qui permettra à leur «occupation parallèle» de perdurer.

À l'origine, ces deux passionnés de glisse fabriquaient eux-mêmes les noyaux et les moules de leurs skis grâce aux équipements disponibles dans l'usine d'armoires de Jonathan Bourgeois. Pour des raisons de temps et d'expertise, ils ont dû se résoudre à faire appel à des sous-traitants. Par chance, ils n'ont pas eu à faire affaire avec une entreprise d'Asie ou d'Europe de l'Est. Ils ont plutôt fait la rencontre de Jean-François Bouchard, président d'Utopie MFG à Rimouski.

Ce jeune entrepreneur de 29 ans est aujourd'hui à la tête du dernier fabricant industriel de skis et de planche à neige au Québec. En fait, ils ne sont plus que deux au Canada. M. Bouchard est d'ailleurs celui qui fabrique la plupart des «micromarques» de ski québécois. Parmi ceux-ci, Xalibu et Stanston.

Stanston est l'histoire de quatre amis de la région de Granby et de Bromont qui ont mis leurs talents en commun afin de créer 20 paires de skis l'an dernier, puis une soixantaine cette année. Des skis de freestyle (destinés notamment aux amateurs de parcs à neige) qui trouvent preneurs au Québec, entre autres par le biais de l'internet et du bouche à oreille. L'objectif de Stanston est de maintenir un prix de vente autour de 500$ la paire de skis et d'augmenter sa production jusqu'à 500 paires en 2012-2013.

Xalibu est la rencontre d'Alexandre Vézina et de Maxime Bolduc, deux diplômés en Tourisme d'aventure et écotourisme du cégep Mérici. Après avoir produit six prototypes l'an dernier, ils commercialiseront, dès février 2012, une trentaine de paires de skis pour la randonnée alpine (backcountry).

À l'instar de leurs collègues fabricants de skis, les deux patrons de Xalibu («caribou» en micmac) aimeraient bien sûr vivre de leur art. Mais ils sont conscients que cela est pratiquement impossible dans un monde où les géants produisent leurs skis pour trois fois rien. «On se voit comme une entreprise écoresponsable, c'est-à-dire qui conçoit et qui fait fabriquer ses skis ici même au Québec. On pense que les consommateurs sont prêts à payer entre 800$ et 1000$ pour nos produits», dit Alexandre Vézina, qui est guide de kayak de mer six mois par année.

Le phénomène des «micromarques» («microbrands», en anglais) serait cyclique, selon François Sylvain, président de la marque Altai Skis, dont le produit, un hybride entre la raquette et le ski de randonnée, sera commercialisé pour la première fois cette année au Canada, aux États-Unis et en Finlande.

«Dans les années 90, on observait la même tendance dans l'industrie de la planche à neige. Il y avait au moins 250 fabricants en Amérique du Nord. Il y a eu consolidation et les petits joueurs n'ont pas survécu. Il se passe la même chose avec le ski. Le microbranding y est très fort depuis quelques années. Avec des logiciels comme Autocad, qui sont maintenant abordables, tout est possible», dit celui qui a notamment travaillé comme concepteur chez Karhu.

Ce nouveau mouvement alternatif, qui ne touche pas seulement le Québec mais la planète entière, serait également une forme de réponse aux multinationales qui ont déménagé leur production de skis en Asie, en Europe orientale et même au Maghreb. «Mais partout, les prix des matières premières et de la main-d'oeuvre augmentent. Je crois que les gros joueurs vont tranquillement ramener leurs productions en Amérique du Nord», dit François Sylvain qui, ironiquement, fait fabriquer ses skis... en Chine.

«Pour pouvoir offrir mes skis à 269$, fixations comprises, je n'ai pas le choix de produire en Chine. Évidemment, mon objectif est de tout faire fabriquer ici éventuellement», laisse-t-il entrevoir.