La Caisse de dépôt et placement du Québec refuse de suivre l'exemple donné par le gouvernement de l'Alberta et de se débarrasser de ses actions dans les sociétés de tabac. Le 31 décembre 2010, ces actions valaient 212 millions de dollars.

De son côté, une société d'État albertaine vient de se départir de ses actions dans les sociétés de tabac, gérées sous sa supervision et détenues par l'entremise de son régime de retraite du secteur public. Ces actions avaient une valeur de 17,5 millions de dollars.

Leo de Bever, PDG de la société d'État (l'Alberta Investment Management Corp.), a souligné que le gouvernement albertain s'apprête à déposer une poursuite contre les sociétés de tabac pour recouvrer le coût des soins de santé liés au tabagisme. Détenir des actions dans des sociétés de tabac tout en les poursuivant devant les tribunaux donnerait une mauvaise impression, a-t-il dit.

Le gouvernement du Québec a lui aussi l'intention de poursuivre les sociétés de tabac, mais rien n'indique qu'il veuille obliger la Caisse de dépôt à retirer les actions qu'elle y détient.

«La Caisse de dépôt, ce n'est pas dans notre cour», nous a dit l'attachée de presse du ministre de la Santé Yves Bolduc.

«La Caisse n'est pas un organe gouvernemental, mais une entité indépendante, nous a écrit l'attachée de presse du ministre du Revenu et des Finances Raymond Bachand, dans un courriel. Le ministre n'a pas de pouvoir de direction, surtout pas sur le plan de ses investissements.»

«C'est un dossier complexe, a dit de son côté Ginette Depelteau, qui dirige les politiques d'investissement responsable à la Caisse de dépôt. Nous suivons l'évolution du dossier. Pour l'instant, nous n'avons pas l'intention de vendre nos actions dans les sociétés de tabac. Aucune loi ne nous y oblige. Les cigarettes sont toujours un produit légal.»

Il y a deux ans, l'Assemblée nationale a adopté la «Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac». Trois fabricants de cigarettes contestent sa validité, ce qui retarde le dépôt d'une poursuite.

Ces trois sociétés sont Imperial Tobacco (filiale de British American Tobacco), JTI-MacDonald (filiale de Japan Tobacco) et Rothmans, Benson&Hedges (filiale de Philip Morris International).

Le 31 décembre 2010, la Caisse de dépôt avait des actions d'une valeur de 83,3 millions dans British American Tobacco, de 18 millions dans Japan Tobacco et de 26,2 millions dans Philip Morris International. Au total, elle avait 212,6 millions de dollars en actions dans 13 sociétés étrangères.

La cigarette tue annuellement 13 000 personnes au Québec. Dès la première année du secondaire, vers l'âge de 12 ans, 13% des élèves fument. La proportion augmente à 31% en cinquième secondaire. Le Québec a le taux de tabagisme le plus élevé du Canada... et le plus fort taux de mortalité par cancer du pays.

Ces faits ont été cités en 2004 par les ministres du gouvernement Charest, lorsque l'Assemblée nationale a approuvé la Convention-cadre de l'Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac.

La Convention de l'OMS dénonce les investissements dans le tabac et stipule ceci: «Les institutions gouvernementales et leurs organes ne devraient pas avoir d'intérêt financier dans l'industrie du tabac.»

La Caisse de dépôt et placement est l'une des plus importantes institutions du gouvernement québécois. Dans son site internet, elle se targue de favoriser «l'investissement responsable», notamment «par l'exclusion de son portefeuille des titres non conformes au droit local ou international».

Mme Depelteau, vice-présidente de la Caisse, n'a pas pu expliquer en quoi les investissements dans les sociétés de tabac sont des «investissements responsables». Elle a toutefois souligné que la Convention de l'OMS fait seulement des recommandations, et qu'elle ne contient pas d'obligations ou d'interdictions.

«Que la Caisse de dépôt maintienne ses investissements dans l'industrie du tabac est un véritable scandale», s'offusque François Damphousse, porte-parole de l'Association pour les droits des non-fumeurs.

«Les sociétés de cigarettes actives au Québec, et dans lesquelles investit la Caisse, ont été reconnues coupables de fraudes dans la contrebande de tabac. Elles ont conspiré pour cacher la vérité sur la nocivité de leurs produits. Et la Caisse de dépôt trouve que c'est responsable d'y investir? C'est un non-sens.»