Plutôt mourir que payer de l'impôt? Plusieurs restaurants ferment leurs portes depuis quelques semaines au Québec, surtout dans la région de Montréal. Les observateurs du milieu attribuent le phénomène à l'imminence de la date butoir imposée par Revenu Québec pour installer des mouchards dans les caisses enregistreuses, une mesure qui vise à contrer l'évasion fiscale.

Les locaux vacants se font de plus en plus nombreux dans les rues de Montréal. Ceux qui se promènent sur la rue Prince-Arthur n'auront aucun mal à le remarquer: trois restaurants ont fermé ici depuis quelques mois. Un quatrième est sur le point de plier bagage à son tour pour faire place à des condominiums.

Le cas de cette célèbre artère piétonne est loin d'être isolé. Ni le ministère de l'Agriculture ni celui du Revenu n'ont été en mesure de fournir des chiffres précis sur les fermetures de restaurants dans les derniers mois. N'empêche, plusieurs observateurs confirment la tendance.

Selon eux, le moment des fermetures n'est pas fortuit. Dès le 1er novembre, chaque restaurant devra munir sa caisse enregistreuse d'un module d'enregistrement des ventes (MEV). Cette mesure, annoncée il y a trois ans par Revenu Québec, vise à empêcher les restaurateurs de cacher des revenus au fisc.

«Les restaurants qui déclaraient 200 000$ de ventes par année et qui vont se mettre à déclarer 800 000$ ou 1 million, c'est certain qu'ils vont se faire courir après par le fisc», affirme sous couvert de l'anonymat un restaurateur montréalais.

Certains établissements n'ont tout simplement pas les moyens d'allonger les quelque 10 000$ nécessaires à l'installation du MEV, même s'ils peuvent recevoir une subvention, explique-t-on. D'autres préfèrent fermer leurs portes et rouvrir après le 1er novembre sous un autre nom pour éviter un contrôle fiscal.

«Certains restaurants qui vont fermer ont une rentabilité qui est exclusivement due au fait qu'ils font du noir», affirme Christian Latour, professeur et propriétaire de Sherpa, entreprise de services-conseils en restauration.

L'Association des restaurateurs du Québec (ARQ) a également remarqué le phénomène. Son vice-président, François Meunier, indique qu'un nombre élevé de fermetures et de transferts ont eu lieu dernièrement, surtout à Montréal, mais il n'est pas encore en mesure de fournir des chiffres précis.

«Il ne faut pas affirmer que tous les restaurants qui ferment aujourd'hui sont dans la même situation, prévient-il. Mais il est clair que s'il y a un mouvement plus important, on peut penser que certains avaient camouflé une partie de leurs ventes, qu'ils n'étaient pas tout à fait transparents au niveau de la gestion financière.»

En date du 5 octobre, moins d'un mois avant la date butoir, à peine 13 584 restaurants québécois avaient équipé leurs caisses de mouchards. C'est à peine plus de la moitié des 22 257 établissements.

«On voit des restaurants qui ferment, on voit des restaurants qui n'ont pas encore fait le saut et qui n'ont aucune préparation pour le faire, constate le consultant Christian Latour. J'ai l'impression que plusieurs restaurants ont pensé que le Ministère donnerait un délai.»

«Il y en a beaucoup qui vivent dans le déni, convient Luc Girard, président de POS Terminal 2000, plus gros fournisseur de MEV au Québec. Ils se disent «ils viendront me chercher, je suis noyé dans une mer de restaurants». Et ceux-là vont avoir une surprise de taille parce que quand je parle avec les gens de Revenu Québec, ils me disent que leurs inspecteurs ont le couteau entre les dents.»

Cet entrepreneur n'a pas remarqué une vague de fermetures dans les dernières semaines, mais il croit que des établissements délinquants risquent de tomber comme des mouches après le 1er novembre, lorsque Revenu Québec commencera à les mettre à l'amende. Les restaurateurs fautifs seront en effet passibles d'amendes allant jusqu'à 10 000$.

L'ARQ est favorable à l'implantation des MEV. L'évasion fiscale était devenue si répandue dans l'industrie que les restaurateurs honnêtes ne pouvaient plus rivaliser avec leurs concurrents malhonnêtes. L'organisme soutient par ailleurs qu'il y a trop de restaurants par rapport à la demande, une situation qui nuit à l'ensemble des établissements. «Ce qui compte, c'est que les bons joueurs restent dans le marché, dit M. Meunier. Que la place se fasse pour que ces gens puissent exploiter leur restaurant de manière loyale en payant leurs employés en règle et en retournant les taxes de vente.»

Une étude de 2005 estimait que 16% des ventes des restaurants québécois étaient camouflées. Dans une industrie de 9,6 milliards de dollars en 2009, c'est 1,5 milliard qui passent sous la table. Québec estime que ses pertes fiscales dépassent 400 millions par année.