Dix ans après sa signature, la Paix des Braves a transformé les Cris du Québec en une nation prospère. Les 16 000 autochtones de la Baie-James ont maintenant un revenu personnel disponible parmi les plus élevés du Québec, grâce notamment aux contrats d'Hydro-Québec et aux transferts gouvernementaux. La Presse est allée voir les impacts de ce boom économique dans les villages de Mistassini et d'Oujé-Bougoumou, près de Chibougamau. Sur place, notre journaliste a été soufflé par ce qu'il a vu. Pas de doute possible, le Nord du Québec a tout un avenir devant lui.

Le gouvernement du Québec s'apprête à céder aux Cris le pouvoir sur l'ensemble du territoire couvert par la Convention de la Baie-James, une région vaste comme la moitié de la France et où se jouera en grande partie l'avenir du Québec. Le gouvernement de Jean Charest et la nation autochtone se sont entendus sur les principes. Il reste à négocier les détails et à signer une entente finale d'ici un an. Quoi qu'il advienne, plus rien ne sera pareil au nord du 49e parallèle.

L'accord-cadre entre la nation crie et le gouvernement du Québec a été présenté en mai comme une simple entente sur la gouvernance menant à la création d'une nouvelle conférence régionale des élus. En réalité, les changements proposés sont majeurs. Des institutions disparaissent et de vastes terres publiques tombent sous la juridiction d'un gouvernement régional où seront représentés les deux groupes qui habitent le territoire : les Cris et les Jamésiens, les résidants non autochtones de la Baie-James.

« Les structures de gouvernance qui sont en place actuellement dans le territoire comme la Municipalité de Baie-James (MBJ) excluent les Cris, qui composent 50 % de la population, souligne Romeo Saganash, député fédéral. L'Afrique du Sud avait un terme pour expliquer ce genre de situation. »

Créée en 1971 et réformée en 2002, la MBJ est la plus grande municipalité du monde avec un territoire grand comme le Vietnam. Elle agit en quelque sorte comme une municipalité régionale de comté (MRC) pour les villes jamésiennes de Chapais, Chibougamau, Lebel-sur-Quévillon et Matagami et trois localités dont Radisson. Elle a aussi des pouvoirs sur les terres de catégories II et III de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

L'accord-cadre abolit la MBJ et la remplace par le Gouvernement régional d'Eeyou Istchee Baie-James. Pour les 10 premières années, les Cris et les Jamésiens auront une parité de vote. Après, la représentation sera fonction du nombre. Selon les tendances démographiques, les Cris y deviendront rapidement majoritaires.

Pour la nation crie, il s'agit d'une avancée attendue depuis longtemps, tout en se doublant d'un formidable défi, explique Alan Penn, conseiller scientifique du Grand conseil des Cris, au bureau de Montréal. Pour la première fois de leur existence, ce peuple du Nord devra gouverner en collégialité avec les Blancs. Jusqu'à présent, les institutions politiques cries sont ethniques ou nationales, en ce sens qu'elles desservent exclusivement la nation crie, et non pas territoriales comme le sont les institutions des Inuits du Nunavik.

« L'accord-cadre constitue un bon pas en avant, a dit en entrevue Richard Shecapio, 34 ans, grand chef de Mistissini, un village cri à 80 km de Chibougamau. Il n'exprime aucune appréhension quant à la perspective de partager le pouvoir avec les Blancs. Nous devons travailler ensemble », a-t-il fait savoir lors d'une rencontre à son bureau au siège social du Conseil de bande.

Pour leur part, les Jamésiens sont divisés. « Pour travailler dans le Nord, tout à l'heure, il va falloir être affilié à un autochtone », dit un homme d'affaires, sous le couvert de l'anonymat. Il prête l'intention au gouvernement de Jean Charest de donner la Baie-James aux Cris en échange de leur consentement à la mise en oeuvre du Plan Nord.

« Les Cris vont contrôler tout le territoire, soutient un prospecteur minier qui tient lui aussi à taire son nom, et vous n'aurez pas le choix de passer par eux autres. On n'arrêtera jamais de payer. »

D'autres, notamment les politiciens locaux, y voient une évolution souhaitable dans les relations entre Cris et Jamésiens.

« Je vois ça d'un oeil positif et constructif. On est deux communautés qui habitent le territoire. Toutes deux veulent travailler au développement et à l'essor de leur population », dit René Dubé, maire de Matagami, municipalité de 2700 habitants de l'ouest du Nord-du-Québec. Du bout des lèvres, il reconnaît que le gouvernement du Québec l'a placé devant le fait accompli avec l'accord-cadre. Il ne s'en formalise pas outre mesure puisqu'on lui a confirmé qu'il participerait aux négociations menant à l'entente finale.

L'accord-cadre sur la gouvernance dans le territoire d'Eeyou Istchee Baie-James sonne aussi le glas de la Société de développement de la Baie-James (SDBJ), une institution au service des Jamésiens, dont les actifs, fonctions, droits et pouvoirs seront transférés au nouveau Gouvernement régional Eeyou Istchee Baie-James.

La SDBJ gère 1500 kilomètres de routes, deux aéroports et l'incontournable relais routier du kilomètre 381 sur la route de la Baie-James. Elle a engrangé des revenus de 22,4 millions de dollars et un profit de 1 million l'an dernier. Son portefeuille d'investissement, principalement dans des sociétés minières, s'élève à 22 millions, duquel elle a tiré un rendement de 23,3 % en 2010.

Bras investisseur du gouvernement dans le Nord, la SDBJ joue le rôle qui incombe à Investissement Québec, dans le Sud.

« Plus de 40 emplois directs à Matagami dépendent de la Municipalité de la Baie-James ou de la SBBJ, c'est primordial d'y garder ces emplois à Matagami », insiste le maire René Dubé.

Les parties ont un an pour arriver à une entente finale.