En cette rentrée scolaire, les étudiants dénoncent les pratiques parfois racoleuses des institutions financières: sollicitation sur les campus, cadeaux pour encourager les jeunes à remplir une demande de carte de crédit, limites de crédit exagérées, publicités trompeuses La Fédération étudiante universitaire du Québec trace un portrait inquiétant du crédit étudiant, dans une étude fouillée de près de 200 pages obtenue en exclusivité par La Presse.

La banque est installée au coeur de la station de métro Berri-UQAM. En vedette sur des panneaux-réclame, des réductions de 5% à 10% sur les titres de transport pour les détenteurs de carte de crédit. De quoi attirer les étudiants qui entrent à l'Université par la porte juste à côté.

Ce rabais potentiel de 250$ peut donner un petit coup de main à l'étudiant qui veut boucler son budget serré. Mais les groupes de défense des consommateurs dénoncent ce genre de cadeau: «Ça peut amener un jeune qui n'a pas besoin de carte de crédit à s'en procurer une, juste pour obtenir un rabais. S'il se fait prendre à ne plus être capable de rembourser... il y a un problème», dit Caroline Toupin, porte-parole de la Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ).

Cible vulnérable

Les étudiants sont des cibles vulnérables, constate la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) dans une étude de près de 200 pages sur l'endettement étudiant.

Ils sont peu ou mal informés sur le crédit. Ils sont dans une situation financière précaire. La tentation est forte de plonger dans l'endettement.

D'ailleurs, les deux tiers des étudiants s'attendent à terminer leurs études avec des dettes, selon l'enquête de la FEUQ menée auprès de 9000 universitaires.

En moyenne, ils auront accumulé des dettes de près de 14 000$ à la fin de leur programme. Mais un étudiant sur 10 aura des dettes supérieures à 25 000$.

Même si les prêts étudiants demeurent la plus importante source de crédit, plus du tiers des étudiants aura contracté une dette moyenne de 8000$ auprès d'une banque à la fin des ses études.

Une portion non négligeable des étudiants (16%) devra même au-delà de 15 000$ à une institution financière.

Or, ces institutions ont des pratiques promotionnelles «très proches de la fausse représentation», estime la FEUQ qui réclame l'intervention de Québec.

«Nous ne sommes pas contre les produits financiers destinés aux étudiants. Souvent, ils sont nécessaires à la poursuite de leurs études post-secondaires. Cependant, il faut une information adéquate qui permette de faire un choix qui n'est pas impulsif», dit la présidente de la FEUQ, Martine Desjardins.

Projet de loi 24

En juin dernier, Québec s'est attaqué au surendettement avec le dépôt du projet de loi 24. Il s'agit de la troisième phase du plan de modernisation de la Loi sur la protection du consommateur (LPC).

Par exemple, il sera bientôt interdit d'offrir un cadeau (casquette, t-shirt, rabais sur un achat, etc.) pour encourager un consommateur à remplir une demande de crédit.

«C'est un projet de loi très intéressant pour la prévention du surendettement de l'ensemble des consommateurs. Mais les jeunes sont les laissés-pour-compte», estime Caroline Toupin.

Une seule mesure les touche spécifiquement, soit l'interdiction d'accorder du crédit à un mineur sans l'accord de ses parents. «Il me semble que c'est le minimum!» dit-elle.

Mais la FEUQ a l'intention de suivre de très près l'évolution du projet de loi qui devrait se retrouver en commission parlementaire cet automne.

«On va pousser davantage. On veut un encadrement beaucoup plus précis des institutions financières qui offrent des produits aux étudiants», insiste Mme Desjardins.

La «marge» entre le rêve et la réalité

La FEUQ dénonce le langage «racoleur» des publicités qui offrent une vision idyllique du crédit. «La marge de crédit est souvent présentée comme un moyen d'accéder à ses rêves, de se payer un peu de luxe. Pour nous, c'est très préoccupant», dit Mme Desjardins.

Un étudiant peut facilement obtenir une marge de 10 000$ par année, soit 40 000$ pour quatre ans. La limite atteint 80 000$ pour un étudiant en droit ou en optométrie, et 200 000$ pour un étudiant en médecine.

Très souvent, les étudiants surestiment la valeur de leur diplôme. «C'est la pensée magique», dit Sophie Racine, coordonnatrice du Service budgétaire Lac-St-Jean Est. Les étudiants s'endettent en se disant: «Ce n'est pas grave. Quand je vais finir mes études, je vais me mettre à travailler et je pourrai tout rembourser», raconte-t-elle.

Mais la réalité les rattrape. Deux ans après leur graduation, les diplômés universitaires gagnent 859$ par semaine, soit 44 700$ par année, selon une étude intitulée La Relance à l'université, réalisée par le ministère de l'Éducation du Québec.

Plusieurs finissants n'obtiennent pas immédiatement un poste permanent à temps plein. D'autres changent de programme durant leurs études.

D'ailleurs, les règles des marges de crédit sont particulièrement nébuleuses pour les étudiants qui abandonnent ou qui changent de programme, souligne la FEUQ. La Fédération souhaite que Québec oblige les institutions financières à clarifier les règles de remboursement de la dette.

Redorer les prêts étudiants

La FEUQ voudrait aussi que Québec force les institutions financières à mieux présenter les prêts étudiants, car ils sont nettement plus avantageux que les marges de crédit.

Avec un prêt étudiant, il n'y a aucun intérêt à payer durant toute la période des études. Une fois sur le marché du travail, le diplômé peut demander une exemption de paiement de six mois (sans intérêts), s'il éprouve des difficultés financières.

Et comme le prêt est garanti par Québec, le taux d'intérêt est plus faible, soit 3,5% en ce moment par rapport à 4,5% pour une marge étudiante. C'est sans compter que les deux paliers de gouvernement offrent des crédits d'impôt sur les intérêts des dettes d'études.

Pourtant, la publicité des institutions présente rarement ces avantages, constate la FEUQ. Ce serait la moindre des choses de la part des institutions qui participent au programme de prêts étudiants subventionné par Québec.

Limite trop élevée

Autre problème: les limites de crédit exagérées. «Présentement, il y a des compagnies qui ne regardent pas du tout à qui ils accordent des limites de crédit», dénonce Mme Toupin.

Ainsi, un étudiant du cégep peut obtenir une carte de crédit assortie d'une limite de 10 000$. «Pourquoi aurait-il une carte de crédit s'il n'a pas les revenus qui viennent avec? C'est de cette manière-là que les jeunes commencent à s'endetter», dit-elle.

Avec le projet de loi 24, les prêteurs devront vérifier la capacité de remboursement du client avant de lui accorder du crédit. Autrement, ils devront lui rembourser les frais de crédit.

Mais ce principe du «prêteur responsable» laisse place à l'interprétation. La CACQ souhaiterait donc que Québec aille plus loin, en limitant à 500$ le crédit disponible pour la première année. «Il faut donner des limites aux jeunes pour qu'ils puissent s'habituer avec la carte de crédit», dit Mme Toupin.