Que les amateurs de loto se le tiennent pour dit: le fait que Loto-Québec ne génère pas les séquences de l'Extra de façon complètement aléatoire empêche bel et bien les joueurs de multiplier les lots gagnants avec un seul billet... mais ne change rien à la somme qu'un joueur peut espérer remporter en tentant sa chance à la loterie.

> Suivez Philippe Mercure sur Twitter

C'est la conclusion d'un expert consulté par La Presse Affaires dans la foulée d'une poursuite de plus de 20 millions entamée par deux hommes contre Loto-Québec.

Rappelons que deux amateurs de loto, Michael Amar et Rajib Ullah, poursuivent Loto-Québec parce qu'ils prétendent que les combinaisons de l'Extra qu'ils achètent depuis des années ne sont pas générées de façon aléatoire.

Cette histoire, révélée lundi par le quotidien The Gazette, fait couler beaucoup d'encre depuis.

M. Amar et M. Ullah ont découvert qu'en achetant un billet comportant plusieurs combinaisons d'Extra, tous les premiers chiffres et tous les derniers chiffres des séquences sont différents. La Presse Affaires a vérifié la chose en achetant un billet de Loto 6/49 avec 10 Extra qui ne comptait aucune répétition sur les premiers et les derniers chiffres. Un tel événement n'a pourtant qu'une chance sur 7,5 millions de se produire.

Dans les documents déposés en Cour supérieure, Loto-Québec affirme toutefois que les combinaisons de l'Extra «sont attribuées aléatoirement par un algorithme de génération de numéros».

La société d'État a refusé de s'expliquer davantage depuis.

Les plaignants affirment que cette façon de faire favorise les chances de gagner de petits lots, mais nuit à leurs chances de gagner des lots plus importants.

Richard Labib, professeur de mathématique et expert en probabilité à l'École polytechnique de Montréal, leur donne en partie raison.

À la demande de La Presse Affaires, M. Labib et un étudiant au doctorat en mathématiques, Simon de Montigny, ont fait tourner leurs ordinateurs dans le but non pas de trancher le débat juridique, mais d'y apporter un certain éclairage scientifique.

Leurs conclusions: en moyenne, la méthode de Loto-Québec permet aux joueurs d'espérer gagner exactement la même somme que si les combinaisons étaient générées aléatoirement et pouvaient compter des répétitions. «Ce qu'on appelle en mathématiques «l'espérance de gain», et qui représente le gain possible pondéré par la probabilité de le gagner, est exactement la même dans les deux cas», dit M. Labib.

Là où les plaignants ont raison, c'est lorsqu'ils affirment que la méthode de Loto-Québec limite l'ampleur du lot qu'ils peuvent remporter. En empêchant les répétitions, Loto-Québec rend impossible le fait de multiplier les gains avec un seul billet.

Un préjudice?

Cela cause-t-il un préjudice aux joueurs? «Ce n'est pas à moi de répondre à cela, dit M. Labib. La méthode aléatoire et la méthode utilisée par Loto-Québec sont deux façons de jouer différentes, qui conduisent à des spectres de gains possibles différents.»

«Ce n'est plus un problème mathématique - ça devient une question humaine, ajoute l'expert. Ça pose la question de ce qu'un joueur recherche en jouant à la loto.»

Fait intéressant, M. Labib et M. de Montigny ont découvert qu'un joueur qui choisirait d'acheter 10 billets distincts comportant un seul Extra chacun obtiendrait une espérance de gain légèrement inférieure à celle obtenue en plaçant les 10 Extra sur le même billet.

Notons que la façon de faire actuelle de Loto-Québec garantit à quelqu'un qui achète dix Extra sur le même billet de gagner au moins 2$. C'est cette prédictibilité, jugée contraire aux lois par les plaignants, qui les fait bondir.

«Nous, en tant que gros joueurs, on est prêts - et on s'attend logiquement! - à perdre notre gage en échange d'une possibilité de gagner plusieurs lots avec plusieurs combinaisons», dit M. Amar, qui souligne qu'en achetant un billet avec dix Extra, huit des dix combinaisons se retrouvent «automatiquement perdantes».

La Régie des alcools, des courses et des jeux n'a pas pu éclairer le débat puisque les loteries de Loto-Québec ne relèvent pas d'elle. La loi sur la Société des loteries du Québec stipule en effet que «le conseil d'administration de la Société [Loto-Québec, NDLR] détermine par règlement les normes et conditions générales relatives à la nature et à la tenue des systèmes de loterie qu'elle conduit et administre».