Chute des prix, manque de main d'oeuvre, frais de production à la hausse, l'industrie québécoise des petits fruits est marquée ces dernières années par des problèmes dont elle pourrait bien se passer. Pendant que les producteurs de fraises et de framboises redoublent d'efforts pour trouver des cueilleurs, les producteurs de bleuets sauvages et de canneberges composent depuis deux ans avec une chute des prix qui grugent leurs profits. Mais attention: la conjoncture actuelle ne signifie pas la fin d'une industrie qui compte entre 1500 et 2000 entreprises et dont les revenus dépassent les 100 millions de dollars.

Entre 2005 et 2009, le nombre de producteurs de canneberges au Québec a presque doublé, passant de 40 à 74. Une telle augmentation ne risque pas de se reproduire de sitôt. Voici pourquoi.

Dopés par la hausse des prix - la livre de canneberge a atteint jusqu'à 0,83$ - plusieurs entrepreneurs croyaient avoir flairé la bonne affaire en se lançant dans la culture de cette petite baie rouge. Mais en 2009, le prix a chuté à environ 0,20$ la livre. Depuis, le creux se maintient. «Ça ne couvre même pas les frais de base. C'est en bas du prix coûtant», explique Monique Thomas, directrice générale de l'Association des producteurs de canneberges du Québec (APCQ), qui compte 72 membres.

Plusieurs facteurs expliquent cette soudaine chute : récolte abondante aux États-Unis (qui est le plus gros producteur de la planète), récession mondiale et force du dollar canadien. «Près de 80% des canneberges québécoises sont exportées aux États-Unis. Disons que le marché n'est pas très favorable pour les producteurs québécois», dit Mme Thomas.

Cela dit, les quelques producteurs qui ont fait faillite l'an dernier ont été rachetés par les plus gros joueurs québécois. Si bien que le nombre d'acres de production (environ 7000) et la quantité de canneberges produites annuellement (40 millions de tonnes) n'ont pas été affectés. Tout le monde se croise les doigts pour que les prix remontent cette année.

Entre temps, l'APCQ met de l'avant une certification (empreinte écologique, traçabilité, etc.) qui aidera les atocas québécois à mieux pénétrer le marché européen si une entente de libre-échange voit le jour entre le Canada et le Vieux Continent. Autre nouveauté: certains producteurs ont commencé à offrir l'autocueillette. «Ça va permettre de faire connaître encore plus la canneberge au Québec qui, malheureusement, demeure encore un trop petit marché», dit Monique Thomas.

Le bleuet sauvage, dont la culture est concentrée à 95% dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, doit lui aussi composer avec une chute des prix, sensiblement pour les mêmes raisons que la canneberge. Mais il y a plus encore. «J'ai tendance à croire qu'il y a peut-être de la concertation entre les transformateurs (pour la plupart, situés au Saguenay-Lac-Saint-Jean) qui veulent payer moins cher pour leurs fruits», soutient Marc Larouche, président syndicat des producteurs de bleuets du Québec.

Une plainte a d'ailleurs été déposée en ce sens au Bureau de la concurrence en décembre 2010. Les quelque 225 producteurs membres du syndicat avaient le loisir de porter plainte en remplissant un formulaire. «Le Bureau nous a dit avoir reçu plusieurs réponses. On est en attente d'une décision», explique Marc Larouche.

Après un record de 1,33$ la livre en 2006, les producteurs n'ont reçu que 0,35$ la livre en 2009, puis 0,65$ l'an dernier. Les temps sont durs et ceux qui ont investi massivement dans leur plantation ont dû déclarer faillite. Ils ont illico été rachetés par les plus gros producteurs.

Toutefois, comme les récoltes de l'an dernier ont été catastrophiques (sept millions de tonnes, contre cinquante tonnes habituellement), Marc Larouche s'attend à ce que la demande soit forte cette année. «À 1,00$ la livre, tout le monde serait heureux», affirme le président du syndicat.

Jean-Eudes Senneville, président de Les Bleuets sauvages du Québec, l'un des plus importants producteurs de la province, doublé d'un transformateur, ne partage pas l'avis de Marc Larouche et réfute les accusations de concertation. «Des prix de 1,35$ la livre, on ne reverra plus ça, dit-il. Mais on va assurément revoir des prix entre 0,35 $ et 1,00 $ la livre. On est un système coopératif et on est honnêtes envers nos producteurs. On offre les mêmes prix aux plus petits joueurs. Quatre années sur cinq, on est d'ailleurs reconnus en Amérique du Nord comme étant ceux qui offrent le meilleur prix à leurs producteurs», explique M. Senneville.