Frustration, enthousiasme, craintes: le projet de règlement qui fera entrer le Québec dans un futur marché du carbone a suscité une vaste gamme de réactions dans le milieu des affaires québécois.

Le gouvernement Charest a dévoilé hier les détails du règlement qui permettra au Québec de se joindre à la Western Climate Initiative (WCI), un marché du carbone qui englobera des provinces canadiennes et des États américains.

Les usines québécoises qui émettent plus de 25 000 tonnes de CO2 chaque année (il y en a une centaine au Québec) devront obtenir des «droits de polluer» pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre.

Une partie de ces droits seront fournis gratuitement par Québec, mais ils ne couvriront pas l'ensemble des émissions. Pour combler la balance, les entreprises devront donc soit réduire leurs émissions, soit acheter des crédits. Québec mènera ses propres ventes aux enchères de crédits, mais les entreprises pourront aussi en échanger entre elles.

Comme l'a annoncé hier La Presse Affaires, Québec suit la décision de la Californie et retarde de janvier 2012 à janvier 2013 l'imposition de cibles contraignantes aux entreprises. Ces dernières connaîtront toutefois leurs objectifs de réduction dès l'automne prochain et pourront commencer à échanger des crédits dès janvier.

«Pour les entreprises du Québec, ça va créer des occasions d'affaires très importantes. Penser que, par une réglementation plus sévère, on va miner la compétitivité des entreprises du Québec, c'est un mythe complètement faux», a dit hier le ministre du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, Clément Gignac.

M. Gignac était hier aux côtés de son homologue à l'Environnement, le ministre Pierre Arcand, dans un effort avoué d'amadouer le milieu des affaires. Il reste toutefois visiblement beaucoup de travail à faire à ce chapitre.

Les réactions les plus vives sont venues du secteur forestier, qui se dit «extrêmement déçu» que ses efforts passés de réduction ne soient pas reconnus par le futur marché du carbone.

«Sans compter les fermetures d'usine, l'industrie forestière a réduit ses émissions de 55% depuis 1990. On trouve totalement inéquitable de voir qu'aujourd'hui, on fait table rase et on nous impose les mêmes efforts que tout le monde», a dit Pierre Vézina, directeur, énergie et environnement, au Conseil de l'industrie forestière du Québec.

Une entreprise comme Cascades, qui a longtemps milité publiquement en faveur d'un marché du carbone, ne cachait pas sa frustration hier.

«C'est comme Robin des bois, mais à l'envers. Ceux qui ont fait leurs devoirs se retrouvent à faire profiter les mauvais élèves de leurs efforts», a dénoncé Hubert Bolduc, vice-président aux communications de l'entreprise.

Les Manufacturiers et exportateurs du Québec ont aussi qualifié cet aspect du règlement de «totalement inacceptable».

Tout en saluant l'idée d'un marché du carbone, la Fédération des chambres de commerce du Québec dit craindre pour la compétitivité des entreprises québécoises. L'organisme se réjouit de voir que l'entrée en vigueur du marché est reportée d'un an et demande à ce que la période de consultation sur le projet de loi soit prolongée.

Les entreprises québécoises de technologies vertes se réjouissent au contraire de voir le Québec prendre une position de pionnier en Amérique du Nord dans le secteur du carbone, ce qui devrait créer des occasions d'affaires pour elles.

La Bourse de Montréal a réagi avec prudence, disant vouloir étudier le système avant d'annoncer si son marché climatique offrira des produits financiers liés au nouveau marché du carbone.

Notons que le secteur des transports sera soumis à des plafonds d'émission à partir de 2015. Les détaillants d'essence seront alors réglementés, et le ministre Pierre Arcand a admis qu'ils risquent fort de refiler la note aux consommateurs.

«Est-ce que l'essence bon marché, c'est quelque chose qui va exister dans le futur? Je ne crois pas», a dit le ministre.

Québec veut réduire ses émissions de 20% sous ses niveaux de 1990 d'ici 2020. Puisque le secteur industriel a déjà réduit ses émissions de 18% depuis cette date, le règlement dévoilé hier vise pratiquement à maintenir le niveau d'émission actuel des entreprises jusqu'en 2020.

Aux dernières nouvelles, le Québec, la Californie et la Colombie-Britannique seront les premiers à sauter dans ce marché régional du carbone. L'Ontario, le Manibota et d'autres États américains devraient aussi suivre, mais des problèmes politiques retardent le processus dans plusieurs États.

Notons que les organisations environnementales ont applaudi l'annonce du gouvernement hier.