Elles sont majoritaires à la sortie des écoles de design. Puis elles semblent disparaître. Où sont les femmes designers ?

Combien de femmes designers travaillent chez le plus important bureau de design industriel au Québec ? « Je n'en ai aucune ! déplore Mario Gagnon, président d'Alto Design. Même si je veux les privilégier à l'embauche, il n'y en a pas ! »

Également président de l'Association des designers industriels du Québec (ADIQ), Mario Gagnon donne des ateliers aux étudiants de troisième année en design industriel, à l'Université de Montréal. « Je dis aux filles : vous n'avez pas idée à quel point vous êtes une valeur rare en design industriel ! »

Pour obtenir la vision et la sensibilité d'une femme designer pour la conception de la table de détection du cancer du sein Softscan, pour Advanced Design Technologies, au début des années 2000, il a dû retenir les services d'une consultante d'expérience, Nevenka Prijic. « On n'avait pas de femme ! » lance-t-il.

L'ADIQ compte environ 330 membres, dont à peine 80 femmes. Pourtant, depuis quelques années, la moitié des finissants sont des finissantes. En avril dernier, on comptait 33 femmes sur les 58 nouveaux diplômés en design industriel de l'Université de Montréal.

Intriguée par la question, la jeune designer Marie-Ève Boisclair a battu le rappel de ses collègues finissantes, dans la cohorte 2007 : sur 20 diplômées, six travaillent de près ou de loin en design.

Elle souligne au passage un phénomène intéressant : « À l'université, ceux qui dessinaient de façon exceptionnelle, c'était des gars. » Ils sont attirés par les machins et les machines, et ce sont eux qui se retrouvent dans les bureaux d'étude de design de transport.

Les femmes, de leur côté, font face à un autre problème de conception : « Ce sont elles qui font les bébés », rappelle Marie-Ève Boisclair.

La situation est suffisamment intrigante, sinon préoccupante, pour que l'ADIQ organise une rencontre sur cette question, le 8 juin prochain : Les femmes designers industriels en voie d'extinction : mythe ou réalité ?

De plus larges préoccupations ?

De nombreuses femmes d'expérience s'éloignent de la pratique du design industriel au passage de la quarantaine, observe Mario Gagnon. Il émet une hypothèse : « Je prétends qu'avec le temps, elles se fatiguent de la technique. Quand elles se retirent carrément, c'est une perte. »

Il donne l'exemple de Solange Jacques. Après quatre ans de design dans la gamme des produits préscolaires chez Mega Brands, elle a accédé à un poste de chef de projet, puis de chef d'équipe. À mesure que l'entreprise croissait, elle gagnait en responsabilités, s'éloignant peu à peu de la conception, comme une bouée qui monte avec la marée. Il y a six ans, à l'occasion d'une restructuration chez Mega Brands, elle a élargi ses horizons en joignant une boîte de production vidéo.

Ce n'était pas le genre à fuir la technologie. « J'aimais beaucoup la technique », assure-t-elle. Mais elle le reconnaît : « Dans mes équipes, les filles préféraient les étapes de créativité, la coloration... »

Les femmes designers industrielles disparaissent ? Elles sont partout, réplique Tatjana Leblanc, professeure à l'École de design industriel de l'Université de Montréal. « Je soupçonne que si on ne les voit plus, c'est que les femmes qui poursuivent en design font très rapidement une carrière », dit-elle.

Leurs préoccupations les éloignent de l'objet pour les rapprocher de l'humain. « Ce que je trouve le plus intéressant, en tant que designer, exprime Tatjana Leblanc, c'est avoir de l'influence au niveau où les décisions se prennent : quel produit développer, quelle fonction offrir, la stratégie de toute une gamme. »

D'autres ont fondé leur propre entreprise pour fabriquer leurs créations. C'est le cas de Nathalie Barcelo, de Jouets Bloko, dont les créatures à assembler, en mousse souple, sont distribuées partout en Amérique. Ou de Caroline Saulnier, qui dès son diplôme obtenu, a fondé Synetik Design, qui conçoit et fabrique des produits ergonomiques.

Elles sont discrètes, mais elles sont là.