À moins de sanctions économiques contre le régime Kadhafi, la firme d'ingénierie SNC-Lavalin (T.SNC) a l'intention d'honorer ses engagements en Libye, incluant la construction d'une prison à Tripoli, capitale du pays.

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La firme montréalaise a obtenu l'an dernier un contrat d'environ 275 millions pour construire une prison en banlieue de Tripoli. «Nous étions tout à fait conscients de ce que nous faisions. Avant, le pays était reconnu par les Nations unies. On était bienvenus, c'était un projet adéquat qui avait été demandé par l'ONU pour améliorer leur système carcéral», a dit Pierre Duhaime, président et chef de la direction de SNC-Lavalin, hier en marge de l'assemblée annuelle de l'entreprise.

SNC-Lavalin ne s'émeut pas des critiques de la communauté internationale à l'égard du régime dictatorial du colonel Mouammar Kadhafi, qui dirige la Libye depuis 1969. Depuis février, le régime Kadhafi est aux prises avec un mouvement de contestation civile. L'OTAN, dont fait partie le Canada, y mène actuellement une intervention armée afin que le régime cesse ses attaques contre sa population civile et qu'il entreprenne des réformes politiques. La Cour pénale internationale a aussi ouvert une enquête sur le régime.

«Il y a des problèmes de droits humains dans tous les pays, dit Pierre Duhaime. Il ne faut pas se faire d'illusions à savoir ce qui se passe là-bas, c'est sûr qu'on va rapporter des problèmes de droits humains, mais SNC-Lavalin permet de bâtir des infrastructures qui améliorent les sociétés où nous travaillons.»

Amnistie internationale dénonce la présence de SNC-Lavalin en Libye. «Prétendre améliorer la situation en Libye en construisant une prison, c'est ajouter l'insulte à l'injure», dit Anne Sainte-Marie, porte-parole de la section Canada francophone d'Amnistie internationale.

Client important

Le régime Kadhafi est l'un des plus importants clients de SNC-Lavalin. La firme québécoise a des contrats d'une valeur de 1 milliard de dollars en Libye, qui constitue ntenviron 10% de son carnet de commandes chiffré à 9,4 milliards de dollars sans ses projets libyens.

SNC-Lavalin a suspendu ses travaux en Libye à la mi-février en raison des perturbations causées par les révoltes contre le régime Kadhafi. Quand le climat politique garantira à nouveau la sécurité de ses employés, SNC-Lavalin compte respecter ses engagements, pourvu que le pays ne fasse pas l'objet de sanctions économiques du Canada ou des Nations unies. «Si c'est permis, si on est invités à y retourner, on sera là», dit le grand patron Pierre Duhaime.

La révolution arabe de 2011 n'incitera pas SNC-Lavalin à modifier sa politique en matière de droits humains. Actuellement, un projet peut être refusé pour deux raisons: la sécurité des employés ou des sanctions économiques imposées par le Canada ou l'ONU. SNC-Lavalin refuse notamment de travailler en Iran et en Corée du Nord.

Amnistie internationale dénonce l'attitude de SNC-Lavalin. «Il y a très peu de pays qui font l'objet de sanctions économiques par rapport au nombre de pays qui ont un bilan épouvantable en matière de droits de la personne, dit sa porte-parole Anne Sainte-Marie. Il faut une législation plus contraignante au Canada pour que nos entreprises ne se rendent pas complices de violations des droits de la personne.»

Sans ses contrats en Libye, exclus des états financiers par mesure de précaution, SNC-Lavalin a généré un résultat net pour ses actionnaires de 73,9 millions (0,49$ par action) au premier trimestre de 2011, une diminution de 12% par rapport à la même période l'an dernier. La firme d'ingénierie a généré des revenus trimestriels de 1,6 milliard, une hausse de 25% par rapport au premier trimestre de 2010. Le titre de SCN-Lavalin s'est déprécié de 1,5% hier pour clôturer la séance à 55,23$ à la Bourse de Toronto.

Énergie atomique

La Libye n'est pas la seule crise internationale à affecter les affaires de SNC-Lavalin. Depuis plusieurs mois, l'entreprise tente d'acheter Énergie atomique du Canada du gouvernement fédéral, mais la crise nucléaire au Japon lui complique la tâche. Le régime de retraite des employés municipaux en Ontario, intéressé à s'associer à SNC-Lavalin, s'est retiré du projet. «Je continue à penser que le nucléaire est un marché intéressant», dit Pierre Duhaime.

SNC-Lavalin, qui compte 24 000 employés dans le monde, fête son centenaire en 2011. Le Canada constitue la moitié de son chiffre d'affaires de 6,3 milliards en 2010, mais Pierre Duhaime veut que les marchés internationaux passent de 50% à 70% d'ici cinq ans. SNC-Lavalin ne divulgue pas quels pays sont ses clients les plus importants, mais la Libye fait assurément partie du top 6.

SNC-Lavalin compte actuellement plusieurs projets d'importance au Québec, dont le campus hospitalier Glen du CUSM et la nouvelle salle de l'Orchestre symphonique de Montréal qui sera inaugurée en septembre.