On ne trouve aucun francophone au conseil d'administration (C.A.) de 75% des 100 plus grandes entreprises canadiennes. L'anomalie n'est pas près de se corriger s'il faut croire ce qui a été dit à un colloque sur la présence des francophones dans les C.A., organisé par l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP).

La statistique a été donnée par Andrew MacDougall, président de Spencer Stuart, firme de chasseur de têtes qui décroche des mandats pour dénicher des candidats au poste d'administrateur. Si les francophones brillent par leur absence au sein des entreprises canadian, l'inverse n'est pas vrai. «Dans les grandes entreprises québécoises, on trouve en moyenne deux anglophones dans 75% des cas», dit encore M. MacDougall.

Cette situation ne changera pas, avertit Pierre Laurin, président du conseil d'Atrium Innovations et ancien directeur de HEC Montréal. «La problématique des entreprises francophones et anglophones est très différente», explique-t-il. Une société francophone accueille un anglophone en son C.A. lorsqu'elle prend de l'expansion hors Québec. Pour les entreprises du Canada anglais, «il n'y a aucune pression ressentie de leur part d'aller chercher un francophone. Quand ça survient, c'est accidentel».

Une enquête de La Presse Affaires, parue en novembre 2010, montrait que les francophones occupaient seulement 6% des postes d'administrateurs au sein des conseils des cinq plus grandes sociétés canadiennes non financières ayant leur siège social hors Québec.

La sous-représentation des francophones risque fort de s'accentuer à l'avenir, craint Michel Nadeau, directeur général de l'Institut. «Dans cinq ans, la proportion de francophones va avoir diminué, car je crois que les entreprises ont progressivement laissé tomber le critère de la représentation territoriale.» Il note que ni Manuvie ni la Banque Scotia ne comptent de francophones du Québec dans leur C.A. bien qu'elles y brassent de bonnes affaires.

Autre sujet d'inquiétude, les rares administrateurs francophones prennent de l'âge, ce qui pose la question de la relève. «Quarante pour cent des administrateurs francophones des neuf sociétés financières canadiennes ont 65 ans et plus», souligne M. MacDougall.

Les femmes passent à l'attaque

Les francophones ne sont pas les seuls à souffrir de sous-représentation. C'est également le lot des femmes, qui composent 14% des C.A. du top 100 des sociétés canadiennes. À cet égard, elles ont retenu une approche proactive pour corriger la situation, comme l'explique Monique Lefebvre, administratrice de l'IGOPP. L'Institut suggère d'adopter une approche incitative musclée pour convaincre les entreprises inscrites en Bourse de remplacer un poste d'administrateur sur deux par une femme. Ce faisant, au bout de 10 ans, la représentation féminine atteindra une masse critique de 40%.

«Si jamais l'approche incitative ne fonctionne pas, le recours à une loi va devenir inévitable», prévient-elle la salle où on comptait environ 80 personnes.

Rien de tel n'est prévu pour promouvoir la présence francophone. «Les femmes ont pris l'habitude de s'organiser pour défendre leur cause», nous a dit, à la pause, Jean-Claude Scraire, ex-président de la Caisse de dépôt.

À défaut de passer à l'offensive, l'ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, a suggéré de jouer défensif, en s'assurant du maintien des centres de décision des entreprises au Québec. Il a déploré à ce chapitre la vente de Provigo et d'Alcan à des intérêts non québécois.

Le salut par l'Europe

Il existe une lueur d'espoir, cependant, qui n'est pas dénuée d'ironie. Le France impose maintenant des quotas pour augmenter la présence des femmes au sein des c.a.

La demande pour des administratrices chevronnées a explosé au point où les sociétés françaises regardent de ce côté-ci de l'Atlantique pour combler les postes autour de la table, de dire Andrew MacDougall.

L'augmentation de la présence canadienne francophone dans les C.A. passerait donc par l'Europe. Ne dit-on pas que nul n'est prophète en son pays?