Après la prière, le partage et l'enseignement de la foi, les Soeurs de l'assomption de la Sainte Vierge viennent de se tourner vers un nouvel outil pour bâtir un monde meilleur: la finance du carbone.

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Dans ce qui constitue une première mondiale, la congrégation religieuse établie à Nicolet, au Québec, a vendu des crédits de carbone équivalant à 16 747 tonnes de CO2. La transaction a rapporté 127 000$ aux religieuses.

«En investissant dans l'environnement, nous voulons léguer un monde meilleur aux générations futures», a expliqué à La Presse Affaires soeur Huguette Moreau, responsable du projet.

C'est la première fois qu'un organisme reconnu par le Vatican vend des crédits de carbone.

La genèse de cette transaction remonte à 2005, lorsque la congrégation entame des projets de rénovation de ses bâtiments.

Les soeurs remplacent alors leurs vieilles bouilloires à l'huile par des fournaises électriques et lancent un vaste projet de géothermie. Pas moins de 88 puits de 150 mètres de profondeur sont creusés pour recueillir la chaleur contenue dans le sol.

«Il s'agit de l'un des plus importants projets privés de géothermie au Québec», souligne Yves Legault, vice-président, financement corporatif, de la firme québécoise L2i Solutions financières, l'entreprise qui a acheté les crédits de la congrégation. Pourquoi la géothermie?

«Lors d'une rencontre de la Congrégation, en 2000, nous avions pris une résolution pour ce qu'on appelait la planète bleue - pour l'environnement, répond la soeur Huguette Moreau. Alors, quand est venu le temps de rénover en 2005, on a pensé à la géothermie, on a fait des études et on a retenu ce choix.»

Gérés par l'entreprise Genivar, les travaux ont nécessité des investissements de près de 3 millions, dont 500 000$ de subventions.

En passant d'un chauffage très polluant (le mazout) à l'une des sources les plus propres qui soient (la géothermie), les Soeurs de L'assomption ont considérablement réduit leurs émissions de gaz à effet de serre. Mais elles ignoraient totalement qu'elles pouvaient utiliser ses réductions pour vendre des crédits de carbone.

C'est la firme L2i, qui travaille dans la finance du carbone, qui a eu vent du projet et a pris contact avec la congrégation.

«On a fait un choix écologique bénéfique pour l'environnement. Et, après coup, on a réalisé que ça pouvait en plus nous apporter des bénéfices», dit soeur Huguette Moreau.

De la Sainte Vierge à la Banque TD

Les Soeurs de l'Assomption de la Sainte Vierge ne le savaient pas quand elles ont décidé de faire creuser des puits sous leurs bâtiments, mais leurs efforts aideront certaines grandes banques canadiennes à remplir les promesses faites à leurs actionnaires.

Comment? Par la mécanique de la finance du carbone.

L'entreprise L2i a revendu à profit un lot de crédits équivalant à 9358 tonnes de CO2 au Greening Canada Fund, fonds torontois détenu par des entreprises qui souhaitent abaisser leurs émissions de gaz à effet de serre.

Parmi ces entreprises se trouvent la Banque TD et BMO Banque de Montréal, deux institutions qui ont promis à leurs actionnaires et leurs clients de devenir carboneutres.

Les crédits générés à Nicolet leur permettront donc de compenser leurs émissions et d'atteindre leur objectif. La firme d'avocats Stikeman Elliott fait aussi partie des investisseurs du Greening Canada Fund.

L2i a également choisi de conserver une partie des crédits générés à Nicolet dans l'espoir qu'ils prennent de la valeur. La firme fait le pari que ces crédits pourraient un jour être reconnus par les protocoles de la Western Climate Initiative (WCI), un marché réglementé où les prix risquent de se négocier à des prix plus élevés que sur les marchés volontaires.

Hier, La Presse Affaires a toutefois rapporté que le lancement de la WCI, auquel doit participer le Québec, risque d'être retardé à cause de problèmes politiques dans plusieurs États participantes, dont la Californie, l'Ontario et la Colombie-Britannique.

Notons finalement que les crédits de carbone générés par les religieuses n'auraient pas pu être vendus sur le marché si leur production avait été rentable. Cette condition vise à éviter que des projets qui auraient été faits de toute façon génèrent des crédits de carbone. On s'assure ainsi que le principe des crédits de carbone entraîne davantage de réductions de gaz à effet de serre... que s'il n'existait pas. Amen.