Les entreprises investissent de moins en moins à Montréal, révèle une nouvelle étude de la Ville. Au cours de la dernière décennie, les dépenses en immobilisations du secteur privé ont chuté de 33% dans la métropole, une tendance qui reflète à la fois l'érosion de l'industrie manufacturière et la résistance de certains Montréalais aux projets d'envergure, selon les experts.

De 10,1 milliards en 2000, les dépenses en immobilisations des entreprises ont fondu à 6,8 milliards l'an dernier, apprend-on dans le rapport, publié par la Ville de Montréal la semaine dernière. Pendant la même période, ces dépenses ont presque triplé à Québec, passant de 1,9 milliard à 5,2 milliards. Elles ont doublé à Laval et grimpé de 70% en Montérégie.

Les dépenses en immobilisations touchent la construction de locaux et d'usines, l'acquisition d'équipement de production et les différents honoraires professionnels comme les architectes et les ingénieurs. L'entretien et la réparation des immeubles et de l'équipement déjà existants ne sont pas inclus dans le calcul.

Dans l'ensemble, les dépenses en immobilisations se sont maintenues dans la métropole depuis 2000, oscillant à plus ou moins 12 milliards par année. Mais la part du secteur public dans ces investissements a crû d'année en année, dépassant 40% en 2010.

Et cette proportion devrait continuer de s'accroître. Plusieurs gigantesques projets financés par les gouvernements commencent à peine à être mis en chantier, par exemple le CHUM, le CUSM et la reconstruction de l'échangeur Turcot.

Faut-il s'inquiéter de cette tendance?

Pas nécessairement, affirment les experts joints par La Presse Affaires. Le professeur Mario Polèse, de l'INRS, souligne que la construction d'une mine en Abitibi-Témiscamingue ou d'une aluminerie sur la Côte-Nord nécessitent des investissements colossaux. En comparaison, l'ouverture d'un studio de création de jeux vidéo à Montréal ne requiert que des sommes bien modestes.

«Le fait que la part de Montréal diminue, ce n'est pas étonnant à cause des grands travaux d'infractructures qu'on observe dans le secteur minier et dans les régions, souligne M. Polèse. On est dans un boom des ressources.»

Mais selon lui, les données sont trop générales pour y voir un signe du déclin économique de la métropole.

Le responsable du développement économique de l'administration Tremblay, Richard Deschamps, reste optimiste. L'économie du savoir, dit-il, rapportera bien davantage que les manufactures.

«Ce qui compte, ce sont les cerveaux, les gens qui travaillent dans des grappes comme l'aérospatiale, la technologie de l'information, la recherche et le développement, les universités et les centres de recherche, estime-t-il. Tout cela n'amène pas plus de briques à Montréal, mais ça amène plus de talent.»

Montréal est loin d'être la seule ville nord-américaine à composer avec la chute de l'industrie manufacturière, un phénomène illustré pas plus tard que cette semaine par la fermeture de l'usine U.S. Cotton à Lachine. Marie-Josée Loiselle, chercheuse à l'Institut économique de Montréal, souligne que le déclin des dépenses en immobilisations a été observé dans plusieurs villes américaines au cours des dernières années, notamment à Rochester, à Buffalo et à Pittsburgh. Et ces villes partagent deux points communs avec la métropole.

«C'étaient des villes à base manufacturière où l'industrie a connu une lente érosion, un phénomène qui a été conjugué à l'exode des jeunes familles vers les banlieues», constate Mme Loiselle.

Selon d'autres, la métropole a eu à composer avec une situation particulière, notamment dans la foulée des fusions municipales. Selon le président de la chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, le branle-bas qui a entouré la formation de la Ville et de ses 19 arrondissements n'a guère créé un climat propice à l'investissement privé.

«Il y a eu une certaine morosité, un effet négatif à Montréal, dans ces tergiversations sur les fusions et les défusions, sur quelle structure la Ville allait prendre et quel taux de taxation allait en ressortir, a indiqué M. Leblanc. Toute ces questions ont créé une décennie où l'investissement privé était probablement plus prudent.»

Les entreprises sont prêtes à investir si des occasions se présentent, dit M. Leblanc. Mais selon lui, des Montréalais devront se montrer plus ouverts à leurs projets. Il rappelle par exemple la levée de boucliers qui a finalement eu raison de la construction d'un nouveau casino en partenariat avec le Cirque du Soleil dans l'arrondissement du Sud-Ouest, ainsi que les nombreuses critiques qui ont accompagné le dévoilement du mégaprojet immobilier Griffintown.

«Mon inquiétude demeure qu'il y a présentement dans la population des courants qui s'opposent aux projets, indique M. Leblanc. Et ces courants, qui sont très minoritaires, obtiennent beaucoup de visibilité. On est toujours à la recherche du projet parfait.»