Les Québécois se bercent d'illusions s'ils croient que leur province est encore un terreau fertile à l'entrepreneuriat. L'Ontario est déjà passé devant et est en train d'accélérer la cadence... pendant que le Québec, lui, ralentit.

Ce constat sonne l'alarme dans l'industrie de l'innovation. Après Charles Sirois il y a trois semaines, c'était au tour des financiers réunis au congrès annuel de Réseau capital, l'association de ceux qui misent des fonds sur les nouvelles entreprises, de s'en inquiéter hier.

Le taux d'entrepreneurs au sein de la population québécoise a chuté de 14,6% en 1991 à 11,2% en 2006, alors qu'il grimpait de 13,9% à 15,1% en Ontario pendant la même période. Et l'écart se creuse: selon les prévisions du gouvernement du Québec, le taux d'entrepreneuriat reculera encore de 2,8% au Québec d'ici cinq ans, pendant qu'il bondira de 5,5% en Ontario.

«J'avais l'intuition contraire. Je pensais qu'on était un peuple dynamique, créatif, qui lançait des idées. Malheureusement, la réalité est loin de ça. La perception que le Québec est une terre d'entrepreneurs est définitivement une illusion», a lancé Alexandre Taillefer, lui-même un entrepreneur prolifique aujourd'hui à la tête de la boîte d'investissement XPND Capital.

Avec Nicolas Bélanger, autre entrepreneur à succès qui s'est tourné vers le financement, M. Taillefer a servi hier une allocution décapante sur l'entrepreneuriat québécois qui avait parfois des airs de stand-up comique.

Le tandem a toutefois fait dans l'humour grinçant. Selon eux, c'est avant tout un problème de culture qui touche le Québec. Pendant que les Ontariens se régalent de Dragon's Den, téléréalité qui met en vedette des aspirants entrepreneurs, les Québécois ont les yeux braqués sur un tout autre genre de spectacle, ont-ils dénoncé.

«Ici, on a beaucoup de téléréalités avec des chefs qui font des sorbets ou des gens extrêmement intéressants qui s'enferment dans des lofts pendant trois mois», a laissé tomber Alexandre Taillefer.

À leurs yeux, la stigmatisation de l'échec et la méfiance par rapport à la réussite sont aussi à montrer du doigt.

«Au Québec, un entrepreneur qui fait faillite est un paria. Il est aussi bien de déménager en Suisse, parce qu'il n'aura plus beaucoup de chums», a dit M. Taillefer, rappelant qu'ailleurs, les entrepreneurs qui échouent apprennent de leurs erreurs et se relancent.

Le hic, c'est qu'à leur avis, ceux qui réussissent ne sont pas nécessairement mieux perçus.

«Au Québec, les entrepreneurs, on les aime pauvres ou un peu riches. Au-dessus de ça, on les voit comme des gens louches», a dit Nicolas Bélanger.

Comment une province qui a accouché d'entrepreneurs de la trempe des Lemaire, Coutu, Péladeau, Laliberté et autres Chagnon en est-elle arrivée là?

«Le gène de l'entrepreneuriat ne s'est pas transmis», ont constaté les deux hommes, affirmant que les jeunes préfèrent maintenant briguer des postes de banquiers ou d'avocats dans de grandes firmes.

«Le problème avec ça, c'est qu'à partir du moment où vous commencez à gagner 80 000$ ou 100 000$ par année, c'est bien difficile de prendre la décision de tout laisser pour se lancer comme entrepreneur», dit M. Taillefer.

Les deux hommes préconisent notamment l'instauration de clubs d'entrepreneurs dans les écoles.

«Toute expérience est pertinente, et elle doit arriver tôt. Je regarde mes amis entrepreneurs autour de moi et on dirait qu'ils ont tous eu des entreprises de t-shirts au secondaire», a lancé Nicolas Bélanger.

Louis-Jacques Filion, spécialiste de l'entrepreneuriat à HEC Montréal, constate aussi l'écart qui se creuse entre l'Ontario et le Québec en création d'entreprises.

Il pointe notamment le meilleur accueil des immigrants-investisseurs et la création d'un ministère de la Technologie et d'un ministère de la PME en Ontario pour expliquer l'écart.

«La culture entrepreneuriale est beaucoup plus vibrante en Ontario qu'au Québec, confirme-t-il. Là-bas, on en entend parler continuellement. Au Québec, les années 80 sont la dernière période où ç'a été vraiment fort.»