Pour bien des victimes du scandale Norbourg, le bilan de sept ans de Jean St-Gelais à la tête de l'Autorité des marchés financiers (AMF) se résume en un document: la télécopie du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) envoyé à l'AMF en avril 2005.

> Suivez Vincent Brousseau-Pouliot sur Twitter

La télécopie du CANAFE indiquant les apparences de détournement de fonds chez Norbourg ne sera pas examinée par le cadre de l'AMF qui le reçoit. Quatre mois plus tard, l'organisme frappe chez Norbourg. «Un fax qui entre chez nous, quelqu'un prend cela, met cela là. C'est ce qui s'est passé, je ne vous le cache pas», expliquait Jean St-Gelais en entrevue, en décembre 2005. Autre détail embarrassant dans le dossier Norbourg: un avertissement sérieux d'un enquêteur de la Banque Nationale a été reçu mais ignoré en avril 2004, soit 16 mois avant la première perquisition.

L'affaire Norbourg a marqué au fer rouge le règne de Jean St-Gelais à la tête de l'AMF, au point d'occulter ses autres réalisations des sept dernières années. Dommage, disent plusieurs observateurs du milieu financier. «C'était un homme à l'écoute, respecté et pragmatique. Il a toujours protégé l'épargnant, mais il ne cherchait pas à le faire sur le dos des gens de l'industrie», dit l'avocat Jean Martel, qui a été PDG de la Commission des valeurs mobilières du Québec - l'ancêtre de l'AMF - de 1994 à 1999.

Progression fulgurante

Après une progression fulgurante dans la fonction publique, Jean St-Gelais est nommé premier fonctionnaire du Québec à seulement 42 ans. Secrétaire général du Conseil exécutif sous le gouvernement Landry de 2001 à 2003, il atterrit à la tête de la nouvelle AMF lors du traditionnel remaniement de la haute fonction publique qui accompagne un changement de gouvernement. Il doit orchestrer la fusion des cinq organismes québécois réglementant les valeurs mobilières. Un défi sur mesure pour ce mandarin de l'État. «Il a dû faire en sorte que la main gauche agisse de pair avec la main droite, ce qui n'a pas toujours été le cas dans le passé», dit Jean Martel, aujourd'hui avocat chez Lavery.

Président des Autorités canadiennes en valeurs mobilières de 2005 à 2010, Jean St-Gelais a été l'un des grands partisans du régime de passeport harmonisé aujourd'hui en vigueur. «Il a été infatigable dans la défense des intérêts du Québec dans sa juridiction, surtout compte tenu des tentatives incessantes du gouvernement fédéral de créer une commission nationale des valeurs mobilières», dit Stéphane Rousseau, professeur de droit des valeurs mobilières à l'Université de Montréal.

L'entente du papier commercial de Montréal, le maintien des produits dérivés à la Bourse de Montréal, le resserrement de la réglementation contre la fraude financière: autant de dossiers cruciaux dans lesquels Jean St-Gelais a joué un rôle de premier plan. Mais les investisseurs floués dans les scandales financiers des dernières années n'ont pas une très haute opinion du PDG de l'AMF, qu'ils qualifient de leader faible et de piètre communicateur.

«Il est gentil mais faible, dit Janet Watson, qui a perdu 68 000$ dans l'affaire Mount Real. Il nous a déjà dit que l'AMF n'était pas parfaite et que, parfois, des erreurs pouvaient être commises. Je n'étais pas impressionnée par sa réponse...»

«Au lieu de défendre les épargnants, il a pensé que sa mission était de défendre son organisation», dit Wilhelm Pellemans, une victime de Norbourg qui a intenté un recours collectif contre l'AMF, Northern Trust et KPMG.

L'avocat Jean Martel est plus indulgent. «Dans des situations comme Norbourg, c'est difficile de toujours bien paraître a posteriori, dit l'avocat de Lavery, qui a obtenu des mandats juridiques de l'AMF. Rendons hommage à M. St-Gelais: il a eu un vent de face et ça soufflait pas mal fort. On peut être d'accord ou non avec certaines de ses décisions, notamment celle sur le refus d'indemniser certains investisseurs à partir du Fonds d'indemnisation, mais il a toujours été cohérent.»

«Norbourg, c'est un dossier particulier, dit Yves Séguin, ministre des Finances du Québec de 2003 à 2005. Je ne pense pas que cet événement ait porté ombrage à l'excellent travail de M. St-Gelais à l'AMF.»

«St-Jello»

Malgré ses qualités, on chuchote que sa discrétion légendaire, un atout dans l'appareil étatique, l'a mal servi dans ses relations avec les épargnants. Sa propension à parfois tergiverser dans certains dossiers lui avait d'ailleurs valu un surnom moqueur à Québec: «St-Jello».

Ses réflexes de haut fonctionnaire l'ont aussi amené à s'aligner souvent avec les positions défendues par le ministre des Finances du Québec. Le ton ne devrait pas trop changer à l'AMF à partir de lundi: le successeur par intérim de Jean St-Gelais, Mario Albert, est un ancien haut fonctionnaire du ministère des Finances qui a fait le saut à l'AMF en 2007.

Jean St-Gelais, 52 ans, quitte le monde la haute finance quelques semaines avant que le bandit en cravate le plus célèbre du Québec, Vincent Lacroix, ne soit admissible à une libération conditionnelle. Une coïncidence dont le premier PDG de l'AMF - qui a décliné les demandes d'entrevue pour faire son bilan - se serait probablement passé.

-----------------

Cinq moments marquants du règne de Jean St-Gelais à l'AMF

> 1er février 2004

La nomination

Nomination de Jean St-Gelais à la tête de l'AMF, qui regroupe cinq organismes gouvernementaux (la Commission des valeurs mobilières du Québec, l'Inspecteur général des institutions financières, la Régie de l'assurance dépôt du Québec, le Fonds d'indemnisation des services financiers et le Bureau des services financiers). M. St-Gelais obtiendra un deuxième mandat en 2008.

> 25 août 2005

La perquisition

L'AMF et la GRC font une perquisition chez Norbourg. Le fraude s'avérera être de 130 millions de dollars, l'une des plus importantes jamais orchestrées au Québec.

> 10 avril 2008

La vente

L'AMF approuve la vente de la Bourse de Montréal à la Bourse de Toronto. Les produits dérivés continueront toutefois de s'échanger à Montréal et l'AMF obtient un droit de veto sur une transaction qui ferait passer la nouvelle entité dans le giron d'une autre Bourse.

> 4 décembre 2009

L'amendement Lacroix

L'Assemblée nationale du Québec change la loi afin de permettre aux tribunaux de cumuler les peines d'emprisonnement obtenues en vertu d'infractions pénales à la Loi sur les valeurs mobilières. C'est l'amendement «Vincent Lacroix», qui a vu sa sentence pénale réduite de 12 à 5 ans.

> 10 juin 2010

De la grande visite

Montréal est l'hôte de la 35e Conférence annuelle de l'Organisation internationale des commissions de valeurs. L'AMF en profite pour conclure une entente d'échange d'information avec la Securities and Exchange Commission des États-Unis (SEC) et la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario.