André Sirois juge que l'Autorité des marchés financiers aurait déjà pu mettre un terme aux activités de Millenia Hope. Si les autorités boursières du Québec l'avaient pris au sérieux il y a huit ans...

Un malheur ne vient jamais seul, dit-on. André Sirois, un Québécois qui habite à New York, n'aurait jamais investi dans Millenia Hope s'il n'avait pas souffert lui-même de la malaria.

L'avocat a contracté cette maladie trois fois, lors de voyages en Haïti, au Rwanda et au Timor oriental, où il a travaillé comme observateur de l'Organisation des Nations unies. Âgé de 68 ans, cet homme de petite carrure a failli y laisser sa peau.

La curiosité d'André Sirois était donc naturelle lorsqu'un ami lui a parlé d'une entreprise montréalaise qui disait avoir mis au point un nouveau remède contre la malaria. Cette maladie a touché près de 250 millions de personnes en 2008.

André Sirois ne se croyait pas naïf pour autant. Pour vérifier les prétentions du jeune courtier qui lui offrait des actions de Millenia Hope, il a soumis la documentation de l'entreprise à son courtier habituel et à un collègue médecin à l'ONU familier avec le paludisme. Rien ne leur a semblé suspect. «C'était bien monté», note André Sirois.

Peu après avoir transféré les fonds pour l'achat de 20 000 actions de Millenia Hope, au printemps de 2000, André Sirois s'est inquiété pour son investissement, de 30 000$CAN au taux de change de l'époque. Il trouvait louche l'absence de communication de l'entreprise. Il a donc réclamé le certificat de ses actions. Après avoir insisté pendant des semaines, il a pu en prendre possession dans les bureaux d'Anchorage, un fonds d'investissement administré par Gilbert Chartrand, ancien député fédéral de Verdun.

Gilbert Chartrand a écopé d'une amende de 126 000$ pour s'être fait passer pour courtier, en 1998 et 1999, et pour avoir berné la Fédération des cégeps, en investissant ses fonds, à perte, dans des placements risqués. L'ex-député et sa conjointe, Carole Lambert, ont aussi été reconnus coupables, en 2005, de complot et du détournement de 750 000$ chez Anchorage.

Alors qu'il voit ses actions fondre de 1$US à moins de 1¢ en Bourse, André Sirois constate qu'il a de plus en plus de mal à parler aux dirigeants de Millenia Hope. Ceux-ci changent souvent de numéro de téléphone. Il en déduit qu'il s'est fait arnaquer.

Dès 2001, il communique avec l'Autorité de marchés financiers (AMF) qui s'appelait la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ) à l'époque. André Sirois veut savoir si ces autorités boursières peuvent intervenir et, si oui, comment. Mais ses lettres et communications restent sans réponses. «J'ai dû faire appel au Protecteur du citoyen pour qu'ils me répondent», raconte-t-il.

Il finit par coucher son histoire sur du papier à en-tête de la CVMQ, à la suggestion d'un enquêteur qui croit que deux infractions ont pu être commises. «Je regarde régulièrement la cote (de Millenia Hope) au Nasdaq, et j'ai l'impression qu'il (le titre) est manipulé. La société émet des communiqués de presse très favorables qui font monter le titre, puis il redescend ensuite», écrit André Sirois dans sa déclaration solennelle datée du 27 novembre 2002.

La réponse définitive de la CVMQ n'est venue qu'une année plus tard. En septembre 2003, le directeur de la conformité, Pierre Bettez, l'a informé par une lettre qu'il ferme son dossier, sous prétexte qu'André Sirois refuse de porter plainte. Cet avocat a eu beau protester, lui assurer qu'il était prêt à déposer une plainte en bonne et due forme, Pierre Bettez n'est jamais revenu sur sa décision.

Informé de cette histoire, le porte-parole de l'AMF, Sylvain Théberge, s'est borné à dire qu'il ne fera «aucune commentaire» sur la façon dont la plainte d'André Sirois a été traitée.

Avec ses cheveux grisonnants et ses petites lunettes rondes qui descendent sur son nez, André Sirois est du genre insistant. Peu de temps après sa retraite, l'avocat décide d'aller au fond des choses. Puisque l'AMF ne s'intéresse pas à Millenia Hope, il s'en chargera.

À force d'appels et de courriels, André Sirois finit par retracer Yehuda Kops, chef de la direction financière et responsable des relations avec les investisseurs. Yehuda Kops lui fixe rendez-vous au nouveau laboratoire de la filiale canadienne à Kirkland.

Un responsable de l'AMF avec qui André Sirois est resté en communication lui recommande toutefois de ne pas s'y présenter seul, lui disant que «ce sont des gens dangereux». Même s'il dit ne rien craindre, il s'y rend en compagnie de son ami qui a lui aussi investi dans Millenia Hope.

Cet ancien entrepôt de Loblaw que l'entreprise occupe depuis la fin de 2006 ne paie pas de mine. Lorsque André Sirois le visite, en novembre 2008, il n'y a pas d'enseigne extérieure de Millenia, ni de téléphoniste. Passé la réception, aucun employé ne travaille dans les bureaux non plus.

Dans ce qu'il décrit comme un décor de laboratoire pour un film, André Sirois tombe sur Bahige Baroudy, à l'époque président et chef de la recherche scientifique de la société mère. «Il y avait des éprouvettes qui faisaient glouglou. J'avais l'impression d'être dans un livre de Tintin», raconte André Sirois.

Cette recherche a été financée par des fonds publics. Millenia Hope a reçu 470 000$US en crédits d'impôt à la recherche du fédéral et du provincial durant son année financière 2006. Pour l'année terminée le 30 novembre 2007, Millenia Hope a réclamé plus de 975 000$US en crédits d'impôt à la recherche. Pour le premier trimestre de son année 2008, c'était 185 000$US de plus.

Lorsque Bahige Baroudy voit André Sirois, ce dirigeant lui parle de ses recherches sur le bradykinin et le sollicite comme s'il s'agissait d'un nouvel investisseur. Le bradykinin est le fer de lance de Genesis Biopharma, une nouvelle filiale de Millenia Hope.

Lorsqu'André Sirois lui explique, mi-figue, mi-raisin, qu'il s'intéresse plutôt au Malarex, Bahige Baroudy lui répond que ce projet ne va nulle part et que l'entreprise a fait une croix dessus. Pourtant, jamais Millenia Hope n'en a informé ses actionnaires.

Dans ses derniers résultats financiers rendus publics, en avril 2008, Millenia Hope disait poursuivre ses essais cliniques en Afrique, sous la surveillance de l'Organisation mondiale de la santé. Millenia Hope affirmait aussi avoir reçu l'autorisation de vendre le Malarex dans 18 pays africains.

Ces perspectives ne se reflétaient toutefois pas sur les résultats de l'entreprise, puisque Millenia Hope n'a jamais encaissé de profit. Au dernier trimestre rendu public, terminé le 29 février 2008, Millenia Hope a perdu près de 850 000$ sur des ventes de 542 000$. Cela a porté à 33 millions de dollars ses pertes depuis sa création en 1997.

Malgré tout, Millenia Hope a convoqué ses actionnaires à une assemblée extraordinaire le 26 février 2009 pour faire augmenter le nombre de ses actions en circulation de 390 millions à 1,9 milliard d'actions! Et cela, sans qu'aucune transaction future ne soit associée à cette décision.

Tenace, André Sirois s'est rendu jusqu'au Hilton de Newark, au Delaware, où devait se tenir cette réunion. À l'heure dite, il était fin seul dans la salle. Ce n'est qu'au bout d'une heure que Yehuda Kops est venu s'asseoir pour y manger un sandwich. Il a reconnu André Sirois, éberlué.

L'assemblée n'a jamais été déclarée ouverte.