Ses remèdes contre la malaria ou le VIH sont illusoires, mais les pertes des petits investisseurs sont bien réelles.

La société Millenia Hope s'est toujours targuée d'avoir des amis célèbres.

L'acteur Daniel Pilon préside le conseil d'administration de sa fondation de bienfaisance, après avoir récemment succédé au sénateur libéral Charlie Watt. L'ancien premier ministre Jean Chrétien et son cabinet d'avocats, Heenan Blaikie, se sont aussi joints à elle dans sa croisade contre la malaria en Afrique... C'est du moins ce que prétendait Millenia Hope dans ses communiqués, avant de se faire mettre en demeure de retirer ces affirmations.

Mais cette entreprise de biotechnologies de Montréal passe sous silence ses fréquentations moins présentables.

L'un de ses hauts dirigeants, Jacky Quan, fait l'objet d'une enquête de la Gendarmerie royale du Canada. On le soupçonne d'avoir manipulé le titre de Millenia Hope en Bourse avec de l'argent soutiré à une soixantaine d'investisseurs désespérés.

L'Autorité des marchés financiers (AMF) a aussi épinglé, en trois occasions distinctes, de faux courtiers qui, entre 2007 et 2009, vendaient des actions de sa filiale canadienne sans prospectus. L'AMF réclame 2,1 millions de dollars en amendes à l'un d'eux, Normand Bouchard, qui fait face à 37 chefs d'accusation d'avoir contrevenu à la Loi sur les valeurs mobilières, en plus de faire l'objet d'une enquête criminelle pour une possible récidive.

Par ailleurs, le gangster montréalais Ducarme Joseph aurait travaillé comme conseiller auprès de Millenia Hope. L'entreprise versait 20 166$ par mois, soit près de 242 000$ par année, à l'ancien chef du gang des «67», selon la demande de prêt hypothécaire que Ducarme Joseph a déposée auprès de la banque HSBC en 2008, a rapporté le Journal de Montréal.

Rares sont les entreprises qui nagent dans autant de suspicions. Toutefois, Millenia Hope, fondée par le Montréalais Leonardo Stella, et ses hauts dirigeants n'ont jamais fait l'objet d'accusations pénales ou criminelles.

«C'est vrai que (les gens de) Millenia n'ont pas été accusés comme tel, mais ce qu'on me dit aux enquêtes, c'est qu'on suit de très près cette compagnie-là», dit Sylvain Théberge, porte-parole de l'Autorité des marchés financiers.

Il a été impossible de joindre les dirigeants de Millenia Hope, même en appelant les trois derniers numéros connus de l'entreprise, dont deux aboutissent dans des boîtes téléphoniques remplies de messages.

Sur papier, Millenia Hope est séduisante. L'entreprise fondée en 1997 affirme avoir mis au point un nouveau médicament contre la malaria.

Cette maladie qui peut être mortelle déjoue les médecins en développant des résistances aux médicaments les plus utilisés.

Millenia Hope a acquis les droits du Malarex. Ce médicament a été développé à partir d'extraits de racines et d'écorce du Pescheria fuchsiaefolia, un arbre indigène au Brésil. L'entreprise affirme avoir chapeauté des essais cliniques sur son médicament vedette en Afrique, un continent éprouvé par le paludisme. C'est là que les premières ventes de Malarex auraient été conclues, en 2005.

Millenia Hope a même a lancé une fondation pour aider les pays les plus pauvres à financer l'achat de ses médicaments.

Mais nul besoin de décaper le vernis pour découvrir des informations troublantes sur Millenia Hope, à commencer par sa recherche.

Dès 2002, la revue The Scientist a émis des réserves sérieuses sur ses essais cliniques, de même que sur l'innocuité et l'efficacité du Malarex. En 2003, la prestigieuse revue scientifique The Lancet en a remis.

«Ce médicament n'a pas été assez étudié pour être testé chez les humains. (...) Cette entreprise essaie d'attirer des investissements, probablement de façon inappropriée», a noté David Warhurst, du laboratoire de malaria du London School of Hygiene&Tropical Medecine, en entrevue à The Lancet (voir autre texte).

Puis, il y a les nombreuses adresses de Millenia Hope, une entreprise incorporée au Delaware mais dirigée de Montréal. Son domicile change selon les déclarations déposées auprès des autorités réglementaires.

Tantôt, elle réside dans un immeuble à Westmount. Tantôt, elle loge dans un parc industriel de Longueuil. Tantôt, elle est établie au 1250, boul. René-Lévesque Ouest, une des tours les plus prestigieuses du centre-ville. Son bureau est au 22e étage, ce qui n'est pas un détail. Une entreprise y loue des bureaux virtuels (adresse et télécopieur) pour seulement 99$ par mois. Ne cherchez pas le nom de Millenia, il ne s'y trouve pas.

Enfin, il y a la filiale canadienne de l'entreprise. Millenia Hope Pharmaceuticals (MHP) devait commercialiser ce qu'elle décrit comme des «bioprocédés de culture de cellules végétales» pour développer des médicaments, des cosmétiques et des aliments nutritifs. Cette filiale a voulu s'inscrire en Bourse en 2006. Tout en admettant, dans son prospectus préliminaire, qu'elle n'avait pas commercialisé un seul produit en six ans!

MHP, aussi appelée Espoir du Millénaire Pharmaceutique, n'a jamais donné suite à sa démarche. Elle a fait faillite l'an dernier.

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Avec cette faillite, on pourrait croire que Millenia Hope n'existe plus. Le laboratoire de MHP, un ancien entrepôt de Loblaws en bordure de l'autoroute 40 à Kirkland, s'empoussière en attendant un nouveau locataire. L'entreprise ne publie plus de communiqués.

Mais le titre de Millenia Hope s'échange encore sur le marché hors cote du NASDAQ, aux États-Unis. Il ne vaut pas cher, autour d'un dixième de cent. Mais il est hyperactif. Dans la seule journée du 28 octobre, par exemple, le titre de Millenia Hope a grimpé de 62,5%!

Comment est-ce possible? L'action de Millenia Hope est de la catégorie des Pink Sheets, de la couleur du papier sur lequel les cotes de ces actions étaient jadis imprimées. Aux États-Unis, les Pink Sheets sont les titres boursiers les moins réglementés. Leurs émetteurs ne sont même pas tenus de dévoiler leurs résultats financiers ou leurs transactions d'initiés.

Le marché pour ces titres est considéré comme un terrain propice à la manipulation boursière. Nombre d'investisseurs institutionnels ne s'aventurent jamais dans ce Far West de la Bourse.

Mais c'est ici que Jacky Quan, haut dirigeant de Millenia Hope, aurait amassé une petite fortune.

Ce Chinois de naissance qui a étudié en Chine et au Vietnam a atterri au conseil de l'entreprise en 2005. En plus de le nommer administrateur, Millenia Hope lui a confié la direction d'une nouvelle filiale à Hong-Kong (qui n'a apparemment jamais vu le jour). Jacky Quan a ensuite cumulé les fonctions de premier vice-président et de trésorier.

En août 2008, il a jeté son dévolu sur la filiale canadienne en achetant 60% de ses actions. Il avait toujours le contrôle de MHP lorsque celle-ci a fait faillite, l'an dernier.

Jacky Quan a donc une connaissance intime de l'entreprise dont il est soupçonné d'avoir manipulé le titre.

Les policiers ont identifié trois comptes de courtage à escompte avec lesquels Jacky Quan aurait mené des opérations boursières illégales, pour ensuite transférer les profits dans cinq comptes bancaires sous son contrôle. De là, l'argent était rapidement retiré. C'est ainsi qu'il se serait offert une luxueuse maison à Dollard-des-Ormeaux.

Au total, six comptes de courtage auraient rapporté 3,25 millions de dollars à Jacky Quan et à ses 15 complices présumés, dont son frère, Gia Tuong Quan.

Ce sont ces complices qui hameçonnaient des Québécois fauchés à la recherche de liquidités, en publiant des petites annonces dans des hebdos régionaux. Ces victimes donnaient les mots de passe de leurs comptes de courtage autogérés en échange de liquidités qui représentaient une fraction de leurs économies. Les escrocs utilisaient les comptes des victimes pour leur faire acheter au gros prix des actions de Millenia Hope qu'ils avaient eux-mêmes acquises pour une bagatelle. Ces opérations se répétaient jusqu'à ce que les comptes des victimes se vident complètement.

Les économies des victimes pouvaient aussi servir à créer un effet d'engouement autour de Millenia ou d'autres titres en Bourse. Car cette société de biotechs est une experte de l'effervescence. Millenia Hope a publié une longue série de communiqués élogieux qui ont souvent été repris dans les sites internet de discussions pour investisseurs.

Rarement a-t-on vu une entreprise aussi petite en annoncer autant. Dans un communiqué publié en 2001, Millenia Hope disait s'associer à une entreprise américaine pour construire des hôpitaux partout dans le monde.

Et à au moins deux reprises en 2006, Millenia Hope a annoncé que le cabinet Heenan Blaikie et son associé Jean Chrétien «ont choisi de s'associer avec Millenia Hope» dans sa «croisade contre la malaria». D'ailleurs, le site internet anglais de Radio-Canada reprend toujours cet engagement de Jean Chrétien dans la section où il brosse les portraits des anciens premiers ministres.

En septembre 2007, un an après la diffusion des communiqués, Heenan Blaikie a envoyé une mise en demeure à Millenia Hope pour que la société les retire. En vain. «On a appris à nos dépens qu'on ne peut pas faire grand-chose pour retirer les articles une fois qu'ils sont publiés sur internet», dit Jacques Bouchard Jr., associé de Heenan Blaikie. Cet avocat raconte avoir représenté Millenia Hope avant d'avoir des doutes sur le sérieux de l'entreprise. En revanche, Jean Chrétien n'a jamais travaillé sur ce dossier. Heenan Blaikie, qui a poursuivi avec succès son ancien client pour honoraires impayés, cherche encore à retracer Leonardo Stella et ses associés pour faire exécuter ce jugement...

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À au moins une occasion, l'Autorité des marchés financiers a tenté d'établir un lien entre Millenia Hope et les intrigues douteuses qui l'entourent. Elle croyait que Pierre Couture, qui s'est fait passer pour un courtier en 2007 auprès d'une quinzaine d'investisseurs potentiels de Québec, avait agi sous les directives de l'entreprise.

Millenia Hope a nié être de mèche avec lui. C'est Joseph Daniele, responsable des services juridiques et administrateur de Millenia Hope jusqu'en 2008, qui a monté sa défense. Et cela, même si cet avocat a déjà perdu son droit de pratique.

En 2000, le Barreau du Québec a radié Joseph Daniele pour trois ans, l'ayant reconnu coupable de 16 chefs d'accusation dans le cadre de sa pratique privée. «Le Comité constate, de l'ensemble du dossier, que l'intimé éprouvait une certaine propension, voire une certaine facilité, à mentir, même sous serment, ou devant le Tribunal, afin de ne pas faire perdre de droits à ses clients. Cette attitude, qui apparaît érigée en système chez l'intimé, est un acte attentatoire à la déontologie», notait le comité de discipline du Barreau.

Les représentations de Millenia ont porté fruits. Fin novembre 2007, l'interdiction d'échanger le titre de Millenia Hope, prononcée un mois plus tôt, a été levée, faute de preuve.

Et depuis, Millenia Hope poursuit sa folle vie en Bourse.