La victoire de Lola contre Éric est-elle une défaite pour les conjoints de fait qui voulaient s'unir sans contrainte? Doivent-ils craindre les répercussions du récent jugement de la Cour d'appel? Peuvent-ils prendre des précautions? Quelques faits... et quelques spéculations.

«Ça fait peur à beaucoup de gens», lance l'avocate spécialisée en droit de la famille Joscelyne Hénault. Depuis l'arrêt Lola, son bureau a résonné de plusieurs craintes - voire de scénarios catastrophe.

Pourrais-je être forcé à verser une pension alimentaire? En cas de maladie grave, faudra-t-il prendre soin de mon copain jusqu'au bout? Pour prévenir les problèmes, devrait-on dès maintenant faire logement à part?

Bref, avec le récent jugement de la Cour d'appel, certains conjoints de fait se voient déjà passer au cou le noeud coulant qu'ils désiraient précisément éviter. «Beaucoup de gens n'auraient pas vécu en union de fait s'ils avaient su qu'il y avait une obligation de pension alimentaire», rappelle Me Hénault.

Dans un jugement rédigé par la juge Julie Dutil, la Cour d'appel reconnaît en effet aux conjoints de fait les mêmes droits qu'aux couples mariés et unis civilement en matière d'«aliments», c'est-à-dire de soutien mutuel pour assurer les moyens de subsistance.

La Cour d'appel a déclaré inopérant l'article 585 du Code civil du Québec, qui stipule que «les époux et conjoints unis civilement (...) se doivent des aliments». Parce qu'il exclut les conjoints de fait, cet article contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés.

«Si vous vous êtes mis dans une situation de dépendance économique en raison de votre union, on ne devrait pas vous interdire de demander - pas de l'obtenir, soyons clairs - une aide pour votre survie et vos besoins fondamentaux», résume Marie-France Bureau, professeure agrégée à la faculté de droit de l'Université de Sherbrooke.

La Cour accorde 12 mois au législateur québécois pour modifier le Code civil en conséquence.

Pour sa part, le juge Marc Beauregard, en partie dissident, aurait immédiatement modifié les articles 585 et 511 du Code civil de telle manière que les conjoints de fait puissent dès maintenant faire valoir leur droit aux aliments (voir encadré).

Le législateur suivra-t-il cette voie ou rénovera-t-il plus à fond ses articles? On pourrait imaginer qu'il prévoie un mécanisme où tous les conjoints de fait seraient soumis à l'obligation alimentaire, à moins qu'ils s'en excluent devant notaire. «Mais serait-ce constitutionnel?» demande Marie-France Bureau. Il serait étonnant que le législateur accorde un droit de retrait à l'égard de ce qui est considéré comme un droit fondamental.

La question du patrimoine familial

Avec l'arrêt Lola, l'union de fait «n'est absolument pas l'équivalent du mariage», insiste Marie-France Bureau.

La Cour d'appel estime en effet que les articles du Code civil portant sur la résidence familiale, le patrimoine familial ou la société d'acquêts ne sont pas discriminatoires en regard de la Charte des droits.

Il est peu probable que le législateur pousse plus loin la logique de l'obligation d'aliments et applique aux conjoints de fait les autres règlements relatifs au mariage, et particulièrement ceux de la Loi sur le patrimoine familial.

Voilà pour les faits!

Il reste à voir ce que les conjoints de fait... peuvent y faire.