Les francophones continuent d'occuper la part congrue des sièges aux conseils d'administration (CA) des grandes sociétés canadiennes en 2010, montre une analyse de La Presse Affaires. L'exception se limite aux entreprises clairement identifiées à la collectivité francophone. Or, la sous-représentation francophone dans ces lieux de pouvoir n'est pas sans conséquence sur l'économie québécoise, prévient un spécialiste de la gouvernance.

Les francophones sont sous-représentés au sein des conseils d'administration des grandes sociétés canadiennes, au même titre que les femmes et les minorités visibles.

Les francophones ne représentent que 6% des administrateurs au sein des conseils des cinq plus grandes sociétés canadiennes ayant leur siège social hors Québec, une proportion nettement inférieure à leur poids relatif au Canada.

Il s'agit de sociétés non financières trônant au sommet du Financial Post 500, qui classe les entreprises en fonction de l'importance de leur chiffre d'affaires.

La présence francophone y est 10 fois plus élevée quand l'entreprise vient du Québec. Approximativement, 58% des postes d'administrateur sont occupés par des gens ayant le français comme langue maternelle au sein des cinq plus importantes sociétés non financières y ayant leur siège social. Cette moyenne cache toutefois des disparités considérables.

Le mois dernier, le Conseil canadien pour la diversité administrative (CCDA) a publié son premier bulletin sur la question. L'organisme y déplore le manque de diversité au sein des conseils d'administration de grandes sociétés canadiennes. Les femmes et les minorités visibles y sont sous-représentées. Le CCDA n'a toutefois pas sondé les entreprises au sujet de la langue des administrateurs.

La Presse Affaires a voulu savoir qu'elle était la place occupée par les francophones dans les conseils d'administration en 2010.

Metro et Alimentation Couche-Tard, associées à la collectivité francophone, ont des conseils presque exclusivement francophones. Chez Metro, deux anglophones ont cependant fait leur entrée dans le cercle du pouvoir après l'importante acquisition des supermarchés A&P en Ontario en 2007. Cette acquisition a modifié le portrait de la chaîne de supermarché qui était auparavant concentrée au Québec.

Des sociétés comme BCE et Canadien National, qui ont toutes leur siège social au Québec, comptent moins de 20% d'administrateurs ayant le français comme langue maternelle.

BCE a deux francophones parmi les 13 membres du CA, soit un pourcentage de 15%. Deux autres administrateurs, quoiqu'anglophones, habitent Montréal et parlent français: Robert Brown, de CAE, et l'avocat Brian Levitt.

Le CN a deux francophones à son ca de 11 personnes soit une part de 18%. Mark Hallman, directeur communications et affaires publiques, fait valoir que les francophones détiennent trois des cinq postes de la haute direction, à commencer par celui de PDG occupé par Claude Mongeau.

À l'extérieur du Québec, les proportions chutent, que l'entreprise ait des installations ou non au Canada français. Onex, Weston et Suncor comptent un seul francophone à leur conseil. Magna et Imperial Oil n'en ont aucun, selon notre décompte.

Quand on élargit la définition de francophone à toute personne parlant le français, le poids francophone passe à 65% pour l'échantillon du Québec et à 11% pour celui du reste du Canada.

Ces résultats n'étonnent nullement Pierre Laurin, ancien directeur de HEC Montréal et administrateur de sociétés. «Mon impression est que dans les entreprises de l'extérieur de Montréal, le nombre de francophones (au conseil) est pratiquement inexistant. Je vois un francophone de temps en temps, mais c'est exceptionnel», dit-il.

En gros et au risque de simplifier, les entreprises québécoises ont un conseil francophone et les entreprises de l'extérieur du Québec ont un conseil anglophone.

Il existe une différence notable dans le comportement des deux solitudes. Quand l'entreprise québécoise s'étend au-delà de son territoire d'origine, comme Metro dans notre échantillon, des représentants anglophones font leur entrée au conseil. Une situation plus rare au Canada anglais, où la présence ou non d'activités au Québec ne paraît pas influer sur la composition du ca.

Pour le professeur Scott Carson, un spécialiste des questions de gouvernance qui enseigne à l'école d'administration de l'Université Queen's, à Kingston, le facteur linguistique devrait être pris en compte dans la composition du ca d'une entreprise qui a des installations importantes au Québec et quand le marché francophone comporte des particularités par rapport aux autres marchés de l'entreprise.

«À l'extérieur du Québec, je n'ai pas vu beaucoup d'intérêt porté à la langue parlée des administrateurs. Mais je ne dis pas que ça ne pourrait pas être un facteur important ou que ça ne devrait pas l'être», dit le professeur Carson.

Autre signe de l'indifférence, il n'y a pas d'étude récente sur la représentation des francophones au sein des conseils d'administration, déplore Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques. Son organisme mijote un projet de colloque sur le sujet le printemps prochain.

Méthodologie

Pour déterminer le choix des entreprises dans le cadre de ce reportage sur la composition linguistique des conseils d'administration, La Presse Affaires a retenu le critère de la taille de l'entreprise en fonction des revenus.

Nous avons exclu les banques et les sociétés financières pour avoir un échantillon d'entreprises de différentes industries.

À l'aide du classement Financial Post 500, nous avons ensuite pris les cinq premières entreprises ayant leur siège social au Québec et les cinq plus importantes sociétés canadiennes ayant leur siège ailleurs au pays. Nous avons troqué Ace Aviation Holding contre le Canadien National, parce que Ace ne consolide plus les résultats de sa filiale Air Canada depuis cette année.