«Sans subvention, ils fermeraient tous.» Jean Garon, ministre de l'Agriculture de 1976 à 1985, est catégorique sur l'avenir des agriculteurs si l'appui de l'État devait disparaître.

Depuis 2007, les agriculteurs québécois ont reçu environ 1,1 milliard de dollars par année des différents programmes gouvernementaux fédéraux et provinciaux. Si l'on déduit leurs propres contributions à ces programmes (environ 30%), c'est donc dire qu'ils ont reçu environ 770 millions annuellement.

Les agriculteurs tirent près de 13% de leurs revenus des programmes de l'État (moyenne de 2003-2008). Mais la proportion atteint 51% chez les producteurs de veaux d'embouche (engraissés dans les prés), 45,2% chez les producteurs d'agneaux et 40,4% dans le secteur de l'avoine, du blé et de l'orge.

Le contribuable peut certes rechigner à la vue de ces chiffres, surtout en cette période de compressions budgétaires. Mais la faute lui revient en partie, soutient Sylvain Charlebois, vice-doyen à la recherche et aux études supérieures de l'Université de Guelph.

«Le consommateur moyen n'est pas prêt à payer davantage pour son alimentation. Les consommateurs demandent beaucoup: des produits sains, salubres, accessibles, à bas prix... L'industrie est exposée à beaucoup de pression.»

«En même temps, précise M. Charlebois, on a tort de croire que les subventions compensent ces exigences. On verse cet argent aux producteurs, mais on n'a pas su responsabiliser plusieurs filières.»

Le «problème agricole»

La quasi-totalité des pays industrialisés soutiennent leur agriculture à différents degrés en raison de ce que les économistes ont appelé le «problème agricole», explique Daniel-Mercier Gouin, professeur en agroéconomie à l'Université Laval.

Ce «problème», c'est-à-dire la grande variabilité des revenus et leur faiblesse relative, fait de l'agriculture une activité économique à part. En bref, le progrès technique augmente la productivité et pousse les prix à la baisse, mais les consommateurs n'achètent pas plus parce que le prix est bas (inélasticité de la demande).

L'agriculture comporte aussi deux grands risques, souligne Jean Garon: la météo, d'une part, et le prix qui varie entre la décision de production et la vente du produit. Sans le soutien de l'État, les producteurs ne survivraient pas aux mauvaises années, soutient l'ancien ministre.

«On ne peut pas appuyer l'alimentation d'un peuple uniquement sur les règles du commerce mondial, note le président de l'Union des producteurs agricoles (UPA), Christian Lacasse. Les pays ne peuvent pas prendre ce risque et ils créent des mesures pour accroître leur agriculture et leur capacité de se nourrir.»

Normand Toupin, ministre de l'Agriculture de 1970 à 1975, a lancé l'assurance stabilisation du revenu agricole en 1975 (ASRA, programme récemment réformé et plafonné). Ce programme, pilier du soutien financier du gouvernement du Québec, verse des indemnités aux producteurs quand les prix du marché ne couvrent pas les coûts de production et ne permettent pas d'apporter un revenu adéquat. En 2008, ce programme a versé 958 millions en compensations, dont quelque 638 millions à la charge de l'État.

«C'est parce qu'on considère l'agriculture comme une priorité qu'on a bâti des programmes comme ceux-là», dit aujourd'hui Normand Toupin.

Il faut dire que l'agriculture a marqué l'histoire et la culture de la société québécoise, qui subventionne davantage le secteur agricole que les autres provinces.

Aujourd'hui, le soutien à l'agriculture reste important, disent ses défenseurs, pour s'assurer d'occuper notre vaste territoire et pour le développement régional. L'industrie bioalimentaire représente jusqu'à 13% du PIB de certaines régions du Québec.

Des questions

«À peu près personne ne remet en question la pertinence du soutien de l'État à l'agriculture», notait en 2008 le rapport de la commission Pronovost sur l'avenir de l'agriculture. Mais il y a débat sur ses modalités.

«On doit se questionner quand le prix du marché ne procure jamais un revenu adéquat aux producteurs», soutient Daniel-Mercier Gouin.

Quatre productions bénéficient de l'ASRA chaque année depuis qu'elles y sont admissibles: bouvillons (1979), veaux de lait (1987), veaux de grain (1980) et agneaux (1981). Trois autres productions reçoivent des compensations sans interruption depuis le début des années 80: veaux d'embouche, avoine et orge. Or, un programme d'assurance ne devrait entrer en jeu que dans les années creuses.

«Demander aux contribuables de soutenir différentes entreprises ad vitam aeternam, je ne sais pas si c'est une bonne chose, surtout si on considère l'état des finances publiques», souligne Sylvain Charlebois.

«On ne peut pas penser à diversifier notre agriculture et en même temps se limiter aux productions rentables, répond Christian Lacasse. Le jour où on fera le choix de ne plus soutenir certains secteurs, cela aura des conséquences très importantes sur l'économie et le dynamisme de plusieurs régions.»

NOTE

Le soutien de l'État à l'agriculture passe par différents programmes fédéraux (Agri-Stabilité, Agri-Investissement) et provinciaux (assurance stabilisation, assurance récolte), de même que plusieurs autres programmes d'aide financière. La gestion de l'offre, dans les secteurs du lait, des oeufs, du poulet et du dindon est un système de soutien qui ne nécessite pas d'injection directe d'argent gouvernemental, et son apport n'est pas considéré dans les statistiques financières présentées dans ce dossier. Les productions assujetties à un système de gestion de l'offre n'ont pas accès aux programmes comme l'ASRA mais ont néanmoins accès à certaines subventions. Les producteurs de lait, par exemple, peuvent toucher certains paiements pour leurs productions secondaires.