Après des décennies de vaches maigres, les olympiens québécois profitent maintenant d'un soutien exemplaire du Québec inc. Au point où certaines fondations privées commencent à faire de l'ombre aux fédérations nationales.

Dominick Gauthier ne compte plus le nombre de ses voyages autour du monde. Mais l'ancien skieur acrobatique devenu entraîneur d'Alexandre Bilodeau et Jennifer Heil se rappellera toujours un séjour en Suisse en 1991. Il voyageait avec un autre jeune espoir canadien qui tentait de percer sur le circuit de la Coupe du monde, un certain Jean-Luc Brassard. «On avait apporté nos pâtes pour sauver de l'argent et on avait mangé nos pâtes durant 23 jours de suite!» raconte Dominick Gauthier.

> Notre journaliste sur Twitter: twitter.com/vincentbpDeux décennies plus tard, l'entraîneur le plus en demande aux Jeux de Vancouver rit de bon coeur de cette anecdote. Mais celle-ci est particulièrement révélatrice du sort de plusieurs générations d'athlètes olympiques.

«Les conditions de financement se sont beaucoup améliorées depuis notre époque, dit son compagnon de voyage Jean-Luc Brassard, qui a gagné une médaille d'or olympique à Lillehammer en 1994 et qui agit comme analyste à la télé aux Jeux de Vancouver. Les athlètes québécois font maintenant l'envie des autres provinces canadiennes. Il y a au Québec une structure qui pourrait s'apparenter à ce qu'on retrouve en temps normal au Canada anglais pour les organismes de charité. Je ne sais pas pourquoi, mais les Québécois s'attachent beaucoup à leurs athlètes amateurs et ils sont prêts à s'impliquer.»

Au fil des médailles olympiques, le Québec inc. est effectivement devenu plus généreux avec ses athlètes d'élite. Cette année, la Fondation de l'athlète d'excellence du Québec (FAEQ), qui récolte des dons dans le secteur privé, attribuera 600 000$ en bourses. Rien à voir avec la cagnotte de 87 000$ distribuée en 1994. «À l'époque, plusieurs PDG me disaient: ils ont choisi de faire du sport, qu'ils se débrouillent, dit Claude Chagnon, président du conseil d'administration de la FAEQ. Mais les mentalités ont changé. Des problématiques comme l'obésité chez les jeunes et le décrochage scolaire ont revalorisé le sport dans notre société.»

Le secteur privé n'est pas le seul à être plus généreux envers les athlètes d'élite: les gouvernements ont aussi augmenté leur financement. Les athlètes qui détiennent un brevet international de Sport Canada obtiennent jusqu'à 18 000$ par année en allocation non imposable. Le gouvernement du Québec ajoute 10 000$ en crédit d'impôt remboursable. Une somme de 28 000$ non imposable.

La hausse du financement public a eu un effet bénéfique insoupçonné: les fondations privées qui soutenaient les olympiens québécois ont pu consacrer leurs efforts sur les athlètes de la relève, ceux qui rêvent de monter sur le podium olympique à Sotchi en 2014 ou à Rio de Janeiro en 2016. «L'aide aux athlètes s'est compartimentée», dit Jean-Luc Brassard.

La FAEQ, qui aidait jadis les meilleurs au monde, donne aujourd'hui des bourses exclusivement aux athlètes de la relève. «Nous avons décidé d'orienter notre appui à des athlètes plus jeunes qui ne bénéficient pas du soutien gouvernemental, dit Pierre Dubé, directeur général de la Fondation de l'athlète d'excellence du Québec. Nous jumelons des athlètes avec des partenaires. Nous allons soutenir ces athlètes jusqu'à ce qu'ils se trouvent leurs propres commanditaires.»

Les bourses de la FAEQ sont d'autant plus importantes qu'à cet âge, les athlètes ne peuvent pas compter sur des commanditaires privés ou une équipe nationale pour payer leurs dépenses. Serge Bilodeau en sait quelque chose. Pendant toute son adolescence, son fils Alexandre Bilodeau, médaillé d'or en ski acrobatique à Vancouver, lui coûtait entre 20 000$ et 30 000$ par année en frais d'entraînement. «Arriver au niveau d'Alexandre, ce n'est pas facile, dit Serge Bilodeau, fiscaliste chez KPMG. Il faut du talent mais aussi des moyens. Plus jeune, il y a des athlètes aussi prometteurs qu'Alexandre qui n'ont pas réussi faute de moyens.»

Les athlètes d'élite reçoivent aussi un soutien plus important de leurs commanditaires. Après sa médaille d'or olympique en 1994, le skieur acrobatique Jean-Luc Brassard a réussi à se négocier des commandites de 50 000$ par année. Aujourd'hui, son successeur Alexandre Bilodeau reçoit 75 000$ par année seulement de Cascades, son principal commanditaire.

Selon Jean Gosselin, un spécialiste en marketing sportif qui a notamment travaillé avec le plongeur Alexandre Despatie, trois ou quatre athlètes québécois ont des commandites annuelles supérieures à 75 000$. Un deuxième groupe d'une dizaine d'athlètes réussit à obtenir entre 40 000$ et 75 000$ par année. «Les athlètes de haut niveau s'en tirent beaucoup mieux qu'il y a 20 ans, dit Jean Gosselin. Les histoires d'athlètes qui mangent du beurre d'arachides pour déjeuner et qui vivent à cinq par appartement, on n'en voit plus tellement. Ce n'est pas rare de les voir s'acheter un condo avant 25 ans.»

Mieux appuyés financièrement, les athlètes vivent aussi une transition plus facile après leur retraite sportive. «Alexandre va pouvoir retourner à l'école sans vendre son condo quand il arrêtera le ski acrobatique», dit Serge Bilodeau.

 

Des dons déductibles d'impôt

Les commandites et les dons aux fondations sportives permettent non seulement aux entreprises d'encourager les athlètes d'élite, ils réduisent aussi leur facture fiscale. «Ces sommes sont déductibles d'impôt», dit François Lecompte, directeur principal en fiscalité chez Raymond Chabot Grant Thornton. Les particuliers qui font un don à une fondation sportive ont droit à un crédit fédéral-provincial combiné de 32% pour la première tranche de 200$ et de 48% pour toute somme supérieure à 200$.

En chiffres

 

 

COMITÉ OLYMPIQUE CANADIEN

Minimum de 2,2 millions par année

4 PROGRAMMES DE FINANCEMENT

>> 1

LA BAIE

1 000 000$ par année

200 athlètes de niveau international, bourses de 5000$ par athlète, 47 athlètes québécois dont 10 olympiens à Vancouver

>> 2

RONA

800 000$ par année

100 athlètes du top 5 international, bourses de 8000$ par athlète, 31 athlètes québécois dont 14 olympiens à Vancouver

>> 3

PETRO-CANADA

400000$ par année

50 entraîneurs et 50 athlètes de la relève, bourses de 4000$ par athlète ou entraîneur, 9 athlètes québécois, aucun olympien à Vancouver

>> 4

BOURSES REMISES AUX MÉDAILLÉS OLYMPIQUES

20 000$ pour une médaille d'or

15 000$ pour une médaille d'argent

10 000$ pour une médaille de bronze

SOMME REMISE AUX JEUX DE PÉKIN

515 000$ (34 athlètes, 18 médailles)

FONDATION DE L'ATHLÈTE D'EXCELLENCE DU QUÉBEC

600 000$ par année

220 bourses entre 1500$ et 5000$ par athlète

28 boursiers sur 50 olympiens à Vancouver

Fonds de réserve de 8 millions

DONATEURS MAJEURS (montant par année)

Gouvernement du Québec 125 000$

Hydro-Québec 125 000$

Banque Nationale 100 000$

Cascades 90 000$

Saputo 85 000$

Fondation Molson 83 333$

Canadien de Montréal (hockey) 33 333$

Alouettes de Montréal (football) 30 000$

Impact de Montréal (soccer) 30 000$

Cirque du Soleil (plongeon, gymnastique, trampoline, nage synchronisée) 25 000$

FONDATION NORDIQUES

175 000$ par année

80 athlètes de la région de Québec et de Chaudière-Appalaches, bourses entre 1000$ et 3500$

Bourses de 5000$ par athlète aux neuf olympiens de la région à Vancouver

FONDATION SPORTS-ÉTUDES

90 000$ par année

69 athlètes-étudiants, bourses entre 500$ et 2500$ par athlète

35 000$ en remboursement de frais scolaires à 117 athlètes-étudiants

7 olympiens québécois à Vancouver ont déjà reçu une aide de la Fondation plus tôt dans leur carrière

CLUB DE LA MÉDAILLE D'OR

40 000$ par année

40 athlètes de la relève, bourses de 1000$ par athlète

ALLOCATION FÉDÉRALE DE SPORT CANADA

jusqu'à 18 000$ par année

CRÉDIT D'IMPÔT REMBOURSABLE DU QUÉBEC

jusqu'à 10 000$ par année