Les choix à faire dans le prochain budget seront difficiles mais, en dépit de l'endettement du Québec et des trois années déficitaires à venir, Jean Charest promet une approche «mesurée et ordonnée» dans la gestion des finances publiques.

Il n'y aura pas de «coups sur les freins suivis de coups d'accélérateur», a-t-il promis, et il n'est pas question non plus, pour atteindre l'équilibre budgétaire, de «démolir le système de santé». «On a déjà joué dans ce film-là», a rappelé le premier ministre hier.Au terme de quatre heures de discussions avec une centaine de leaders du milieu des finances, des syndicats et des groupes patronaux, Jean Charest a clairement indiqué que le Québec n'était pas à la veille des grandes manoeuvres en matière de finances publiques. Mieux vaut un travail de fond permanent «que de se réveiller tous les 10 ans pour virer tout à l'envers».

La rencontre économique s'est terminée sans que le gouvernement annonce une seule décision. L'exercice aura permis d'obtenir l'adhésion des leaders de l'économie québécoise à des objectifs cruciaux - le développement de l'éducation, le virage vers une économie verte, l'amélioration de la productivité et l'innovation, a résumé le premier ministre.

On n'y verra pas de nouvelles initiatives toutefois; un groupe a proposé que chaque nouveau programme soit accompagné de l'abolition d'une autre initiative équivalente. «Le gouvernement du Québec a très peu de ressources financières», a prévenu d'entrée de jeu M. Charest. Mais on ne «sortira pas la tronçonneuse» pour autant: par exemple, la politique familiale du gouvernement, qui offre une panoplie de services comme les garderies et qui pèse très lourd dans les coffres du gouvernement, restera intacte.

Dans une intervention musclée, le président de la Banque de Montréal, Jacques Ménard, a prévenu que le Québec ne pourrait faire l'économie d'un débat sur les finances publiques. Dans quatre ans, le fardeau de la dette sera passé de 10 à 14% dans les dépenses publiques. Le système de santé accapare déjà près de 50% du budget. «Le système actuel de financement de ce secteur n'est pas viable; il sera obligatoirement différent dans quatre ou cinq ans», a prédit M. Ménard, qui avait piloté une étude à ce sujet pour le gouvernement Charest.

Attentes

À Lévis, un clair consensus s'est établi, selon M. Charest, sur la place centrale de l'éducation dans les priorités du Québec.

Ce sera toutefois le seul dénominateur commun à la plénière qui a suivi les ateliers à huis clos. Les participants ont été surpris de voir le député de Québec solidaire, Amir Khadir, prendre le micro le premier. Puis les groupes d'intérêt, des forestières à l'UPA en passant par les représentants de l'économie sociale et les municipalités, ont exprimé leurs attentes, toutes prévisibles.

Les échanges sont allés dans toutes les directions. Le gouvernement n'avait donné aucun objectif précis à sa rencontre et n'avait proposé aucune orientation, ce qui a laissé des participants sur leur faim.

Une demi-douzaine de comités ministériels seront mis en place. Michelle Courchesne (Éducation) et son collègue Sam Hamad (Emploi) devront proposer des pistes pour mieux arrimer la formation au marché du travail. Clément Gignac (Développement économique) et Raymond Bachand (Finances) travailleront à l'innovation. D'autres groupes sont formés sur le rôle des «travailleurs d'expérience», que l'on souhaite garder en emploi, sur la relance de l'économie de Montréal et sur l'économie «verte».

«On ne peut pas encore mesurer le résultat de cette rencontre. On verra au budget. Les lignes sont à l'eau. C'est difficile de voir la qualité de la pêche à ce moment-ci», a déclaré la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau, à la sortie de la rencontre. Le Parti québécois et l'Action démocratique ont dénoncé le fait qu'on n'ait pas parlé de l'état précaire des finances publiques. Le gouvernement est «déconnecté», a lancé le député péquiste et critique en matière de finances, Nicolas Marceau (la chef Pauline Marois avait quitté la rencontre en après-midi). «Cet exercice ne répond pas aux préoccupations de la population. Si on veut insuffler à l'économie un souffle nouveau, il faut avoir des moyens financiers», donc augmenter la marge de manoeuvre du gouvernement.

«Je pense qu'on a manqué une très belle occasion, a dit de son côté le chef adéquiste Gérard Deltell. Il y avait des gens de grand talent ici, des gens qui ont les deux mains sur leur propre volant, qui sont de grands décideurs. Malheureusement, le point essentiel, ce dont les familles et la classe moyenne voulaient qu'on parle, ce sont les finances publiques et le ménage à faire. Mais ça a été mis sous le tapis. On n'a pas eu le courage de faire le débat.»