À entendre Dominique Brown, qui a fondé l'entreprise de jeux vidéos Beenox à 21 ans, un constat s'impose: il est impossible de parler de l'économie de Québec sans faire un détour par la psychologie.

«Du haut de mes six employés, dans mon appartement, je me disais: On va conquérir le monde.» Dix ans après sa fondation, Beenox compte maintenant 319 employés et un des jeux lancés cet été par la boîte, Guitar Hero, s'est classé dans le top 10 des meilleurs vendeurs aux États-Unis.

«Le slogan d'Obama, Yes we can, c'est comme si on se l'était approprié», poursuit-il. Obama, oui, mais aussi une fierté et une confiance en soi qui rappellent celle des Chinois.

Prendre sa place

Au fil des entrevues réalisées à Québec cette semaine, une impression générale se dégage: celle d'une communauté d'affaires confiante en ses moyens, prête à se frotter à n'importe qui.

Avec un taux de chômage de 5,4%, la région de Québec vit presque le plein emploi, pendant que l'Occident traverse sa pire crise depuis celle de 1929.

L'an dernier, la croissance régionale a atteint 1,9%. C'est plus qu'Edmonton (1,5%), Calgary (1,3%) et Montréal (1%).

Cette année, le Conference Board prévoit une hausse de 0,1% du PIB réel, soit le troisième meilleur score des villes canadiennes.

Que ce soit un train grande vitesse, un nouveau Colisée ou la tenue des Jeux olympiques en 2022, les gens de Québec «osent rêver grand», explique la nouvelle présidente de la chambre de commerce, Liliane Laverdière.

En Chine, on appellerait ça du nationalisme. Ici, c'est de la fierté régionale.

Le 400e donne des ailes

Si la classe moyenne chinoise vit un sentiment similaire, dopé par une croissance exponentielle et le succès de leurs Jeux olympiques de l'été 2008, l'élément qui a soudé la confiance collective à Québec est sans contredit les célébrations du 400e anniversaire de la ville. Tout le monde le dit, tout le monde le répète. Le maire Régis Labeaume, sociologue de formation, compare l'effet du 400e de Québec à celui qu'a eu Expo 67 pour les Montréalais.

Une voix forte et unique

Rassurez-vous, on est loin du Parti communiste chinois, le seul autorisé en Chine. Mais les gens d'affaires ont quand même uni leurs voix, question que leur message passe plus facilement.

Le remue-ménage remonte au début des années 2000. L'ancien maire Jean-Paul L'Allier et le premier ministre Bernard Landry avaient alors exigé un regroupement des organismes de développement économique.

Exit la SPEQM, le GATIQ et autres incubateurs et Cité de l'optique. Le Pôle Québec-Chaudière-Appalaches est né en 2003-après s'être brièvement appelé CODEM-, non sans avoir froissé quelques egos.

Ces fusions ont mis fin aux «guérillas qu'on avait tout le temps entre les organismes», se rappelle un des architectes du remue-ménage, Éric Dupont, mieux connu pour sa participation dans les Laboratoires Æterna. «Là, il y avait une vraie voix claire.»

La même chose se produit au niveau municipal, où les fusions ont beaucoup mieux résisté qu'à Montréal. Seules L'Ancienne-Lorette et Saint-Augustin-de-Desmaures ont quitté le navire central.

«Les fusions ont aidé ici, explique Mme Laverdière. On sent que le ballon est porté dans un but commun.»

Les «dissidents» écartés

Les guéguerres de clochers entre maires, mairesses et nombreux présidents des divers organismes de développement économique ont cessé à peu près au même moment où s'est effectué un autre ménage, celui sur les ondes de la radio québécoise. Les André Arthur et Jeff Fillion, souvent prompts à tuer dans l'oeuf des projets naissants, ont ainsi perdu leurs micros.

«C'est un vent de fraîcheur, souligne M. Dupont. C'était très négatif d'avoir des gens qui désinformaient les gens.»

La conséquence, poursuit-il, c'est que les gens n'ont plus peur de crier leurs succès. Gagner, être premier et faire de bonnes affaires redevient de bon goût.

Un leader fort

Si les Chinois ont eu Deng Xiaoping pour les faire entrer dans l'ère capitaliste, les Québécois ont pu compter sur une série de maires forts qui ont fait bouger les choses, les deux derniers en lice étant Jean-Paul L'Allier et Régis Labeaume, réélu avec 80% des voix dimanche.

«Le maire L'Allier a été précurseur avec tout le développement qu'il a fait du côté de Saint-Roch, du CNNTQ (Centre national des nouvelles technologies de Québec), explique M. Brown. Ça a amené beaucoup de business en technologie dans le coin. Puis après ça, le maire Labeaume a repris le flambeau.»

Une opinion entendue souvent. Comme celle voulant que la région de Québec, avec ses 800 000 âmes, ait la taille idéale pour des entreprises qui veulent croître, mais qui sont encore loin d'être des multinationales.

«C'est une grosseur de ville parfaite, poursuit M. Brown. On est 300 et quelques employés. C'est gros pour Québec. Ce ne serait pas nécessairement le cas à Montréal. Moi, je peux aller à la ville, je peux aller au cabinet, puis je vais avoir une oreille attentive.»

Un État présent

Il n'y a pas de place Tienanmen en face de l'Assemblée nationale, mais l'État québécois est tout de même très présent à Québec: de la fonction publique aux retraités de l'État, en passant par l'Université Laval et les hôpitaux. «On a toujours été plus stable à travers les récessions économiques», souligne Michel Dallaire, le patron de Cominar, le plus grand groupe immobilier du Québec. À preuve, les ventes dans les centres commerciaux que son groupe possède à Québec ont progressé pendant les six premiers mois de l'année par rapport à 2008, pourtant une année record.

Oui, l'État est grandement présent dans sa capitale nationale, mais il l'était tout autant il y a une douzaine d'années. Pourtant, à l'époque, le taux de chômage dans la région dépassait les 10%.

Une des éléments importants qui s'est produit ces dernières années, selon M. Dupont, c'est que la région a voulu tirer davantage profit de cette présence, notamment des recherches universitaires, et commercialiser les découvertes qui s'y font. «On s'est assuré d'un transfert technologique plus efficace, explique-t-il. Est-ce que c'est parfait? Non. Est-ce que c'est mieux? Oui.»

Une population homogène

Les visages sont moins uniformément blancs comme ils l'étaient il y a quelques années. N'empêche, Québec demeure une ville où les réseaux bien établis font en sorte que tout le monde se connaît. Tout le monde important, en tout cas.

«C'est tissé serré, parce que les mêmes membres de conseils d'administration se retrouvent sur plusieurs CA, ce qui fait qu'ils ont toujours vent de ce qui s'en vient, sur quoi les gens travaillent», souligne la présidente de la chambre de commerce, Liliane Laverdière.

Elle y voit un avantage: tout le monde peut pousser dans la même direction. Et rêver grand. Comme les Chinois.