En collaboration avec HEC Montréal, nous publions notre chronique hebdomadaire sur les défis de gestion auxquels font face les entreprises.

Nous avons rapporté en ces pages au printemps dernier notre projet d'école d'été en management de la création, porté par le groupe Mosaic à HEC Montréal, en partenariat avec l'Université de Barcelone. Du 3 au 18 juillet, une semaine à Montréal, puis à Barcelone, près de 60 participants, professionnels, étudiants et académiques, de 10 nationalités différentes, ont découvert de hauts lieux de création, rencontré des créateurs et échangé avec eux.

 

Ils ont aussi expérimenté les outils, les méthodes et les pratiques créatives (et même goûté la création lors de deux événements gastronomiques), avec la conviction partagée que le management de la créativité est aujourd'hui une priorité majeure pour l'économie.

Notre école d'été, unique en son genre, fut aussi l'occasion de comparer la créativité de Barcelone et Montréal. Pour notre métropole, il importe en effet de comprendre comment et pourquoi d'autres villes, d'autres territoires et d'autres organisations inventent les produits, les services, mais aussi la citoyenneté et la ville de demain, pour s'en inspirer. Or, si l'extraordinaire vitalité catalane s'est confirmée, l'impression partagée par tous les participants à l'école d'été, et notamment les participants étrangers, est que Montréal «tient très bien la comparaison» avec Barcelone en matière de créativité.

Barcelone est naturellement l'une des métropoles les plus souvent reconnues comme «ville créative». La ville, au-delà de ses singularités historiques et géographiques, consacre un effort constant depuis presque 30 ans à définir et développer des lieux et des espaces de création. De ce point de vue, l'alliance des différents acteurs politiques de Barcelone avec ses forces économiques et ses créateurs a permis l'émergence d'incubateurs d'une exceptionnelle efficacité.

Le cas de Barcelona Activa demeurera pour les participants de l'école d'été un cas d'école: incubateur de projets de l'économie technologique et créative, cette institution peut se targuer aujourd'hui d'avoir créé plus de 42 000 emplois. Ce centre articule des dispositifs économiques classiques (subventions, crédits d'impôt), avec des approches dynamiques (sélection, coaching, parrainage, réseautage, promotion internationale) allant même jusqu'à mobiliser l'architecture du lieu pour favoriser les interactions et les échanges. Qui plus est, cet incubateur se situe au coeur du quartier baptisé «22@», totalement repensé et rénové autour d'entreprises créatives, d'ateliers de design, de studios de télévision, d'entreprises en démarrage informatiques, mais aussi de représentations d'institutions internationales, de facultés universitaires, d'écoles, et d'organisations de l'économie sociale.

Le pari de la ville créative repose sur ce subtil équilibre entre diversité et proximité, qui fonctionne pour les deux métropoles. Un dernier point marquant tient à la façon dont la ville affirme aujourd'hui son identité avec le succès qu'on lui connait. Si Barcelone a été fondée il y a plus de 2000 ans, elle affiche et gère son nom comme une marque, reprise par ses principaux créateurs. Comme nos collègues de marketing nous l'ont appris, développer une marque est un exercice exigeant de réflexivité et de cohérence. Voilà un autre chantier stimulant pour Montréal...

Mais s'il y a toujours beaucoup à apprendre de Barcelone, les racines du Montréal créatif sont aussi apparues très profondes et solides. La semaine passée à Montréal à côtoyer les talents créatifs de la ville a montré combien les relations informelles, jusqu'à l'underground, y jouent un rôle majeur. La capacité des Montréalais, de souche ou d'adoption, à briser les barrières, à ne pas se laisser enfermer dans telle culture ou tel style, et à tenter constamment des hybridations audacieuses a impressionné les participants.

Les barrières et les silos, s'ils existent comme partout, sont certainement ici plus faciles à surmonter. Un autre élément de culture, difficile toutefois à cerner, relève d'une certaine humilité dans les rapports, qui produit des amitiés et des complicités parfois anomiques et transitoires, mais toujours authentiquement curieuses de l'autre, de sa différence et de sa singularité.

À analyser l'histoire du Montréal de la création, on réalise que bon nombre de projets trouvent leur origine dans ces affinités aventureuses, mues par un même sens du plaisir, de l'audace et souvent de la provocation joueuse et sérieuse (de la LNI à la Tohu, du Festival de Jazz au Taz, du Quartier des spectacles au remarquable nouveau «plan de vie» des muséums natures, de la musique électro-acoustique à Arcade Fire, de Denys Arcand à l'oeuvre de feu Falardeau et son héritage). La question reste posée de savoir comment cette attitude, souvent propre aux milieux culturels et artistiques, pourrait animer aussi les relations entre entrepreneurs, managers, experts et gestionnaires des différentes industries de Montréal. Il conviendrait de soutenir encore plus activement les liens, les passerelles et surtout les expérimentations entre les différentes grappes de Montréal, mais aussi entre créateurs et entreprises. Ces dynamiques, pour émerger et s'épanouir, nécessitent certes des visionnaires, et Montréal et le Québec n'en manquent pas, mais aussi des défis, des projets et des espaces de rencontres et d'expérimentation.

Laurent Simon est professeur agrégé au service de l'enseignement du management et Patrick Cohendet est professeur visiteur au service de l'enseignement des affaires internationales, HEC Montréal laurent.simon@hec.ca patrick.cohendet@hec.ca