«Je me suis rendu compte que Norbourg fonctionnait avec deux systèmes comptables. Et celui sur lequel on me faisait travailler s'est avéré faux...»

Au procès criminel de cinq ex-adjoints de Vincent Lacroix, le témoignage d'un ex-analyste de l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui fut embauché comme cadre supérieur par Norbourg à l'automne 2004, un an avant les perquisitions policières, a permis hier d'initier les jurés au niveau de sophistication de la comptabilité frauduleuse élaborée par le président fondateur de la firme déchue.

Ce fut un moment important pour les avocats de la défense qui veulent démontrer que leurs clients, accusés de fraude et de complot, auraient été associés à leur insu dans la fraude menée par Vincent Lacroix.

Ce dernier, faut-il le rappeler, connaîtra sa sentence vendredi matin après avoir plaidé coupable à 200 chefs d'accusation, au lieu d'être jugé aux côtés de ses ex-adjoints.

Par ailleurs, le témoignage de Jean Hébert, comptable de 14 ans d'expérience à l'époque, a permis à la défense de démontrer l'intérêt pour Lacroix de s'adjoindre des professionnels connus en finances afin d'amadouer les doutes sur la légitimité de Norbourg.

«Vincent Lacroix avait-il intérêt à intégrer des gens provenant de l'AMF en particulier?» a demandé un avocat de la défense en contre-interrogatoire.

«Oui. Ça pouvait faciliter les contrôles et les suivis réglementaires en ce qui concernait les fonds Norbourg», a admis M. Hébert.

D'ailleurs, a-t-il témoigné, c'est à la suggestion d'un ex-collègue à l'AMF, Éric Asselin, embauché précédemment comme vice-président aux finances, qu'il a passé à son tour chez Norbourg en septembre 2004.

«J'étais plafonné à l'AMF et je considérais que Norbourg serait un tremplin dans le secteur des fonds. Et quand j'ai demandé à Éric Asselin si ça marchait droit, il m'a rassuré. Il m'a dit aussi que j'aurais «de la corde» dans mes fonctions», a témoigné M. Hébert.

Rendu chez Norbourg, il a obtenu le mandat principal de veiller à la conformité des nombreux permis et documents officiels à maintenir auprès de l'AMF.

Un «monstre comptable»

Aussi, Jean Hébert a témoigné qu'il devait «patcher» certains éléments du système comptable de Norbourg qui auraient été déficients.

Mais rapidement, il a constaté un «monstre comptable» avec la complexité de la seule tenue des livres entre les différentes entreprises du groupe.

Et deux mois à peine après son embauche, Vincent Lacroix et Éric Asselin lui ont indiqué que Norbourg faisait l'objet d'une enquête de l'AMF.

Pour le rassurer, ils ont offert à Jean Hébert de démissionner de son nouveau poste avec une indemnité d'un an de salaire.

Mais à l'époque, M. Hébert a dit avoir interprété cette offre comme un geste de bonne foi. «Ça m'est apparu honnête. Avec un nouvel employeur, tu ne commences pas en le soupçonnant qu'il est un fraudeur», a-t-il dit hier en Cour.

Mais peine s'en fut.

Quelques mois plus tard, Jean Hébert a relevé d'autres irrégularités comptables qui, cette fois, l'ont intrigué sur l'origine même des fonds d'exploitation de Norbourg, ainsi que du «train de vie» de Vincent Lacroix.

«Je me disais à l'époque que l'argent ne pouvait pas venir des fonds d'investissement (des clients de Norbourg) parce que les vérificateurs comptables (KPMG) étaient déjà passés par là, ainsi que les inspecteurs de l'AMF.»

Et lorsqu'il en a fait part à son collègue Éric Asselin, alors vice-président aux finances de Norbourg, M. Hébert a témoigné avoir senti sa réticence à alerter rapidement l'AMF.

«Quand j'ai réalisé qu'ils pigeaient dans les fonds, ça m'a jeté par terre. J'en avais la chair de poule.»

Les pires soupçons de Jean Hébert se sont avérés peu après, avec les perquisitions policières menées en août 2005 dans les bureaux de Norbourg et ses firmes affiliées à Montréal, La Prairie et Candiac.

«Avez-vous l'impression d'avoir été manipulé par Vincent Lacroix et Éric Asselin?» a demandé un avocat de la défense.

«Oui, c'est plausible, a répondu M. Hébert. Aujourd'hui, c'est relativement facile de refaire le puzzle qu'ils avaient mis en place. Mais à l'époque, quand on était dedans, ce n'était pas évident.»