Une soixantaine de témoins prévus, une énorme quantité de documents, peut-être quatre mois de délibérations avant un verdict...

Le procès au criminel des auteurs présumés de l'une des plus graves fraudes financières de l'histoire au Québec, l'affaire Norbourg, est enfin amorcé au palais de justice de Montréal.

Mais en l'absence de son maître d'oeuvre, Vincent Lacroix, qui attend sa sentence après avoir plaidé coupable à 200 chefs d'accusation, la semaine dernière, ce sont ses cinq principaux adjoints que la Couronne veut faire reconnaître coupables d'un nombre inédit de 722 chefs d'accusation en tout.

 

«Nous allons vous démontrer que toutes ces accusations sont intimement liées pour des actes perpétrés entre 2002 et 2005», a indiqué le principal procureur de la Couronne, Serge Brodeur, lors de son long exposé d'introduction aux 12 membres du jury.

«Ces accusés se sont entendus sur un projet commun de fraude, d'où les accusations de complot, a-t-il ajouté. Aussi, ils ont utilisé et caché le produit de leur fraude par une série de fausses inscriptions comptables.»

En tout, l'affaire des fonds Norbourg constitue une fraude de près de 130 millions de dollars touchant 9200 particuliers investisseurs.

Parmi les cinq coaccusés, assis à deux pupitres distincts de celui de leurs avocats, il y avait Serge Beugré, 44 ans, ex-directeur général adjoint de Norbourg, ainsi que Félicien Souka, 38 ans, ex-directeur de l'informatique. Ils font face chacun à 174 chefs d'accusation.

À leurs côtés, Jean Cholette, 46 ans, ex-contrôleur comptable interne de Norbourg, est la cible de 150 accusations.

Assis à la deuxième table, il y avait Rémi Deschambault, 58 ans, ex-comptable externe des fonds Norbourg qui fait face à 131 chefs d'accusation, ainsi que Jean Renaud, ex-fonctionnaire du ministère des Finances du Québec qui doit se défendre de 93 accusations liées à son rôle de conseiller fiscal de Norbourg et de Vincent Lacroix.

Comme leur ex-patron, ces coaccusés sont passibles de peines pouvant atteindre 14 ans de prison, s'ils sont reconnus coupables.

Mais pour y parvenir, le fardeau de la preuve par la Couronne devant les 12 jurés s'annonce très complexe.

Déjà, hier, le procureur Serge Brodeur a dû prendre un bon moment de son exposé initial pour résumer, grands écrans électroniques à l'appui, l'enchevêtrement d'entreprises que constituait le groupe Norbourg.

Par ailleurs, sa présentation des principaux témoins prévus à la barre a provoqué une première bisbille avec les cinq avocats des coaccusés.

Parmi ces témoins, la Couronne convoquera des ex-employés de comptabilité chez Norbourg, des enquêteurs de la GRC et des experts en juricomptabilité.

David Simoneau, cousin de Vincent Lacroix et ex-adjoint à la direction de Norbourg, sera aussi appelé à la barre. Mais lorsque le procureur Serge Brodeur l'a décrit comme un témoin et «complice qui a collaboré à l'enquête en échange d'absence de poursuites», les avocats de la défense ont protesté à haute voix. «On vient de déclarer David Simoneau complice et délateur. En plus, on nous apprend qu'il a une entente de non-poursuite? C'est quoi, cette façon de communiquer la preuve?» a lancé l'avocat André Lapointe, qui représente Félicien Souka.

Manifestement très agacé, le juge Richard Wagner, de la Cour supérieure, a critiqué en plein tribunal l'exposé initial du procureur de la Couronne.

Trop long et trop détaillé, a-t-il déploré, donc sujet à des «erreurs» pour la suite du procès.

Pour les avocats de la défense, on se prépare déjà à contester la crédibilité de l'un des principaux témoins à l'interne chez Norbourg. «Ça nous prend la date de cette entente de non-poursuite, même si elle était verbale. Parce que ça nous indiquera jusqu'à quand il (Simoneau) était franc comme témoin, et à partir de quand il n'était plus franc», a indiqué l'avocat André Lapointe.

Est-ce que cette première bisbille de procédures risque de nuire à la preuve de la Couronne devant les jurés? «Je ne crois pas. C'est une mésentente entre avocats à propos d'une entente quelconque avec un témoin», a suggéré Yves Roussel, de l'escouade financière de la GRC à Montréal, au sortir de cette première journée d'audience.

M. Roussel est aussi l'un des témoins prévus par la Couronne, à titre de principal enquêteur de police dans l'affaire Norbourg.