Ses opposants ont tout fait pour l'épuiser moralement et financièrement, mais le créateur Claude Robinson est resté tenace. Après 14 ans de débats juridiques, il a gagné sa cause contre Cinar, Ronald Weinberg et quatre autres défendeurs.

Dans un jugement de 240 pages, le juge Claude Auclair conclut que son dessin animé Les aventures de Robinson Curiosité a été malhonnêtement plagié. Il en tient responsables Cinar, Ronald Weinberg et feu Micheline Charest, le producteur d'émissions télé France Animation et ses dirigeants Christophe Izard et Christian Davin, de même que le distributeur allemand Ravensburger.

Claude Robinson obtient une compensation de 5,2 millions de dollars, plus les frais d'expertise. Le juge accorde également les intérêts accumulés depuis 1995, si bien que les défendeurs devront payer environ 10 millions de dollars en tout.

Claude Robinson est très heureux de ce dénouement. «Ce n'était pas juste une création. J'avais dessiné mon visage (Robinson Curiosité) et ils ont copié cela. C'était une partie de moi-même», a dit le créateur de 58 ans.

Claude Robinson a fait de cette cause le combat de sa vie. Souvent, les journalistes le croisaient au palais de justice de Montréal, à la recherche du moindre document pouvant appuyer sa thèse.

Le créateur a soumis son oeuvre à Ronald Weinberg et Micheline Charest pour la première fois en février 1986, il y a 23 ans. En octobre 1995, la copie de Cinar, baptisée Robinson Sucroë, était prête à être diffusée, mais Claude Robinson a envoyé une mise en demeure à Cinar, l'accusant de plagiat.

Hier, le juge Auclair a ordonné aux défendeurs de cesser de produire Robinson Sucroë. De plus, le juge déclare Claude Robinson propriétaire de tous les exemplaires de Robinson Sucroë et de tous les originaux, dessins et bandes magnétiques. Ces documents doivent lui être remis dans les 60 jours.

Jugement très dur

Le juge est très dur à l'endroit des défendeurs. «La conduite des affaires de Charest, Weinberg et Izard est basée sur la tricherie, le mensonge et la malhonnêteté.

Ils n'hésitent pas à trafiquer les contrats afin d'en gonfler les coûts de production pour obtenir des subventions», écrit-il.

Plus loin, il blâme une fois de plus Christophe Izard, le présumé auteur de Robinson Sucroë. «Quand la tricherie est la règle, quand on se gargarise d'honneur Izard portant fièrement au revers de sa veste l'insigne de la Légion d'honneur à toutes ses présences en Cour et que le mensonge et les versions contradictoires sont la règle, on ne peut reprocher à Claude Robinson l'importance et l'amplitude de son enquête dans sa recherche de la vérité.»

Claude Robinson est le premier à avoir mis au jour l'affaire Cinar, qui a produit la populaire série Caillou. En 1999, son enquête a permis de révéler que l'entreprise utilisait des prête-noms pour obtenir des subventions.

Ces révélations ont rendu plus suspicieux le conseil d'administration de Cinar, alors inscrite en Bourse, si bien que, en 2000, le conseil a découvert que 122

millions avaient été détournés aux Bahamas, un paradis fiscal, au détriment des actionnaires en Bourse.

Les opposants de Claude Robinson ont maintenant 30 jours pour interjeter appel, et tout indique qu'ils le feront. «Personne n'est prêt à fa ire de chèque.

Les gens sont surpris et déçus. Compte tenu du jugement, certains défendeurs vont en appeler «, a déclaré Pierre Lefebvre, de Fasken Martineau, qui représente l'essentiel des défendeurs.

La firme Cookie Jar, de Toronto, qui a acheté ce qui restait de Cinar en 2004, assure que des fonds ont été prévus dès l'acquisition au cas où il faudrait indemniser Claude Robinson. «Il faut d'abord voir s'il y aura appel. Mais l'argent est là pour la portion que nous devrions payer», nous a dit le porte-parole de Cookie Jar, Alex Radmanovich.

La facture à payer à M.Robinson est scindée en quatre parts.

D'abord, l'ensemble des défendeurs doit payer à Claude Robinson 2,7 millions de dollars. Avec l'intérêt au taux légal plus l'indemnité additionnelle depuis 1995, la facture double, environ.

Ensuite, le juge condamne Ronald Weinberg, feu Micheline Charest, Christian Davin, France Animation et Christophe Izard à payer un million de dollars en dommages exemplaires, avec intérêt au taux légal.

De plus, le même groupe est tenu de payer la totalité des frais d'expertise, avec intérêt.

Enfin, l'ensemble des défendeurs est tenu de verser 1,5 million pour les frais d'avocats, à quoi il faut ajouter la TPS et la TVQ.

«L'objectif de l'octroi de dommages punitifs est de prévenir des cas semblables et de punir ces bandits à cravate ou à jupon, afin de les décourager de répéter leur stratagème et sanctionner leur conduite scandaleuse, infâme et immorale», écrit le juge Auclair.

Des extraits du procès

«Après un examen minutieux, le Tribunal conclut que les personnages de Curiosité ont été repris substantiellement dans Sucroë de même que certains dessins de Claude Robinson»

«Quand la tricherie est la règle, quand on se gargarise d'honneur (...) et que le mensonge et les versions contradictoires sont la règle, on ne peut reprocher à Claude Robinson l'importance et l'amplitude de son enquête dans sa recherche de la vérité.»

«La conduite des affaires de Charest, Weinberg et Izard est basée sur la tricherie, le mensonge et la malhonnêteté. Ils n'hésitent pas à trafiquer les contrats afin d'en gonfler les coûts de production pour obtenir des subventions.»

«L'objectif de l'octroi de dommages punitifs est de prévenir des cas semblables et de punir ces bandits à cravate ou à jupon, afin de les décourager de répéter leur stratagème et sanctionner leur conduite scandaleuse, infâme et immorale.»

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