Les victimes d'Earl Jones espéreraient peut-être qu'il les aiderait à retrouver certains fonds. Qu'elles n'y comptent pas: Earl Jones a avisé le syndic qu'il ne restait plus rien.

L'homme de 67 ans a transmis une lettre au syndic vers 17h lundi, par l'entremise de son avocat, soit la veille de l'assemblée des créanciers. Il a d'abord indiqué qu'il ne se présenterait pas à l'assemblée du Holiday Inn Pointe-Claire, disant craindre pour sa vie. Et au sujet des fonds, Earl Bertram Jones a confirmé ce qui apparaît de plus en plus évident: de l'argent, il n'en reste plus.

 

De fait, le syndic RSM Richter dit n'avoir retrouvé que 15 000$ dans les comptes d'Earl Jones, essentiellement celui de la Banque Royale. Et au terme de son enquête préliminaire, le syndic a constaté qu'Earl Jones a utilisé au moins 12,3 millions de dollars des clients pour des fins personnelles ou non reliées aux activités de la Corporation Earl Jones.

L'analyse du syndic porte sur les états de comptes bancaires des années 1987 à 1999 et 2008-2009. Les états de compte de 2000 à 2007 n'ont pas été retrouvés dans les bureaux de M. Jones, à Pointe-Claire. Le syndic a demandé aux banques de lui fournir dès que possible une copie des relevées pour les années manquantes.

Pour les 15 années comptabilisées, le syndic estime qu'Earl Jones et sa conjointe Maxine ont prélevé 4,6 millions de dollars du compte en fidéicommis pour des fins non précisées. En plus, le syndic a constaté qu'il y a eu 912 000$ pour des immeubles, 169 000$ pour des voitures, 593 000$ pour les études des enfants et 530 000$ pour les cartes de crédit personnelles, notamment.

À cela s'ajoute les 886 000$ de retraits au comptant, 487 000$ de transferts aux Bermudes et 2,4 millions de transferts au compte de l'entreprise pour des honoraires, entre autres. «C'est une ponction systématique dans le compte en fidéicommis des clients depuis le début», a expliqué l'avocat Neil Stein, qui représente RSM Richter.

Comme le syndic n'a pas idée de ce qui s'est passé entre 2000 et la fin de 2007, soit huit ans sur 23, les retraits irréguliers pourraient être plus élevés. «Ce pourrait être 22 millions, on ne sait pas», nous dit Gilles Robillard, responsable du dossier chez Richter.

Danielle Manouvrier, l'une des ex-clientes de M. Jones, a sa petite idée. «Il y a lieu de croire que ces huit années sont les plus compromettantes. Ce n'est pas pour rien qu'elles ont disparu», dit Mme Manouvrier, qui fait signer une pétition pour que les sentences contre les «criminels en cravate» soient plus sévères (www.spspcc.epetitions.net).

Le comptable CGA Pierre Courchesne semble avoir été en charge de la comptabilité de la Corporation Earl Jones, selon le syndic. L'homme, qui pourrait aider le syndic à y voir plus clair, a été sommé de ne pas se départir des documents en sa possession. Le mois dernier, Pierre Courchesne avait affirmé à La Presse ne pas avoir eu de relations d'affaires avec Earl Jones depuis une quinzaine d'années.

Avant l'assemblée, une quarantaine de victimes avaient fait parvenir leurs réclamations au syndic, pour une valeur de 12 millions. Comme les autres victimes n'ont déposé leurs réclamations qu'hier matin, il n'a pas été possible de connaître précisément le total des réclamations et le nombre de victimes. Environ 150 personnes ont assisté à la réunion, interdite aux journalistes.

«Après coup, je me rends compte qu'il y a des signes que j'aurais dû détecter», a dit Frances Gordon, la belle-soeur de Earl Jones, qui a perdu toutes ses économies, soit presque un million de dollars.

Hier, l'assemblée a procédé à la nomination de cinq inspecteurs, soit Ginny Nelles, Gerry Coughlan, Kevin Curran, Peter Kent et Grant Burton. Ces inspecteurs décideront des étapes suivantes de la faillite, qu'il s'agisse des enquêtes ou des poursuites.

En vertu de la Loi sur la faillite, Earl Jones sera tenu de témoigner, comme pourrait l'être sa conjointe Maxine, les directeurs de compte de banques et les professionnels qui ont fait affaire avec M. Jones.

RSM Richter a demandé des renseignements à 93 institutions, dont 50 banques, 12 entreprises de courtage, 13 cabinets d'avocats et de notaires et 6 sociétés d'assurances. Certaines sont situées en Irlande, en Angleterre, en Suisse et dans les paradis fiscaux des Bermudes et des Îles Caïmans.

Dans le cas de la Suisse et des îles Caïmans, toutefois, l'information du syndic n'apparaît pas sur des relevés, mais vient de ouï-dire de certains clients.

Parmi les victimes, quatre peuvent se compter chanceuses. RSM Richter a constaté que leurs fonds gérés par Earl Jones ont été placés dans des comptes de courtiers en fidéicommis à leurs noms. Leurs économies, qui vaudraient de 2,5 à 3 millions, sont donc en toute sécurité.

 

LES FOLLES DÉPENSES D'EARL JONES

Retraits totaux du compte en fidéicommis*: 12,3 millions

> Paiements à Earl Jones : 2,9millions

> Paiements à son épouse : 881 000$

> Retraits au comptant : 886000$

> Achat d'immeubles : 912000$

> Achat de voitures : 169000$

> Frais d'études des enfants : 593000$

* Débours non reliés aux activités de la Corporation Earl Jones pendant 15 des 23 années de la présumée fraude