Son polo est parsemé de taches d'un brun suspect. L'odeur qui flotte autour est pestilentielle. Mais Katline Brunet a un grand sourire. Elle vient de laver la cage d'un tigre pour la première fois de sa vie.

Katline Brunet est coordinatrice marketing et événements corporatifs au Parc Safari d'Hemmingford, au sud de Montréal. Mais hier, l'espace d'une journée, elle s'est transformée en préposée à l'entretien des animaux. Au programme: laver des éléphants, nettoyer des cages de tigres et nourrir des lions en leur lançant des cuisses de poulet cru.

 

Ce changement d'affectation fait partie d'une expérience que fait le Parc Safari pour la troisième année: sortir les membres de la direction de leurs bureaux pour les faire travailler avec les autres employés.

«C'est extrêmement bien. Ça donne un aperçu beaucoup plus réaliste de ce qui se passe sur le terrain. Ça nous montre tout le travail qu'il y a derrière, et c'est assez intense «, dit Mme Brunet, boyau d'arrosage à la main, en train de terminer son travail. Et la crotte de tigre? «C'est correct, répond-t-elle. Il ne faut pas être trop dédaigneux, mais bon, ce n'est pas la fin du monde.»

L'idée est signée Geneviève Brault, directrice des ressources humaines du Parc Safari. Quand La Presse Affaires l'a croisée, hier, elle était en train d'aplanir un madrier de bois à l'aide d'une machine électrique.

«Ne mets pas tes mains là! Là non plus!» lui criait Robert De La Durantaye, le menuisier chargé de la superviser pour la journée.

Après avoir nettoyé des toilettes chimiques et réparé une clôture, Mme Brault en était à préparer les pièces de bois qui lui serviront à changer le cadre d'une fenêtre. Du bran de scie plein les cheveux, elle explique son projet.

«J'ai commencé au Parc dans un travail d'été, alors j'ai travaillé sur le terrain et je sais ce qui se passe là. Mais quand je suis arrivé au bureau, je me suis rendu compte que les gens ne connaissaient pas la réalité des employés au jour le jour. Ils ne connaissaient pas l'expérience des invités (les visiteurs) et le contact avec eux. Je trouvais important qu'ils voient comment ça se passe.»

D'où l'idée de cette journée inusitée où le directeur général se mêle aux étudiants pour faire tourner les manèges et où la directrice administrative répare des moteurs avec les mécaniciens. Et les visiteurs qui étaient au Parc Safari, hier, ont peut-être aperçu une jeune fille au volant d'un kart relié à une remorque destinée à entreposer des chambres à air, en train d'essayer de faire reculer le tout avec un air légèrement paniqué.

«C'est vraiment le fun, mais je suis en train d'attraper un méchant coup de soleil», lance Virginie Billette, responsable du marketing, des ventes et des commandites, devenue surveillante de plage auxiliaire pour la journée.

Olivier Doucet, professeur de gestion des ressources humaines à HEC-Montréal, croit qu'une expérience comme celle mise sur pied par le Parc Safari peut être extrêmement bénéfique. Il se souvient que certaines grandes entreprises, dont la division canadienne de FedEx, l'ont aussi tentée par le passé.

«Dans les grandes entreprises, les gens de la direction ou de l'administration peuvent facilement perdre de vue la base et le contact avec les employés et les clients. En allant sur le terrain au lieu de réfléchir dans leur tour d'ivoire, ils peuvent prendre des décisions de gestion qui vont être pratico-pratiques et fonctionnelles dans l'organisation.»

Mais les cadres ne sont pas les seuls à bénéficier de l'expérience. Hier, Robert De La Durantaye et Éric Thomas, deux menuisiers qui ont passé la journée à expliquer leur métier à leur directrice des ressources humaines, prenaient un malin plaisir à dicter leurs ordres à leur supérieure.

«On prend notre revanche», a lancé M. De La Durantaye à la blague.

Ces blagues et ces contacts, selon le professeur Olivier Doucet, sont précieux. «Un PDG qui va travailler avec ses employés, ça peut envoyer un message très symbolique, dit-il. Un message qui dit: on se préoccupe de vous.»