Grand responsable d'une magouille dans laquelle 4000 petits investisseurs ont perdu 10 millions de dollars, Stevens Demers s'est vu imposer hier une peine de 30 mois d'emprisonnement et une amende de près de 1,3 million de dollars.

La peine, prononcée par le juge Paul Chevalier, de la Cour du Québec, a déçu l'AMF et fâché les actionnaires floués par le cofondateur d'Enviromondial, reconnu coupable de 346 infractions pénales en septembre dernier.«J'ai réagi avec colère, dit Gaétan Grimard, président de l'Association de défense des actionnaires d'Enviromondial. En réalité, il fera cinq mois de prison puisqu'il pourrait être libéré au sixième de sa peine. C'est une demi-journée par infraction. C'est ridicule.»

Vice-président de l'association, Jean-Yves Leroux a perdu environ 20 000$ dans cette affaire, et son entourage a vu s'envoler un total d'environ 300 000$.

«Ma déception concerne les 30 mois de prison, dit-il. M. Demers n'a jamais voulu collaborer avec l'AMF. Il a constamment défié le système. C'était le temps d'en profiter pour donner une leçon, et c'est une peine bonbon.»

L'AMF, qui demandait une peine de cinq ans moins un jour et une amende de 2,5 millions, a également exprimé sa déception. «On va étudier le jugement de façon plus approfondie. On a 30 jours pour savoir si on va plus loin», dit le porte-parole, Sylvain Théberge.

Magouillage et mépris

Jusqu'en 2008, Stevens Demers a vendu illégalement des actions d'Enviromondial et a transféré illégalement les actions à une société-écran américaine. Il le faisait sans permis et sans jamais avoir émis de prospectus, malgré les demandes répétées de l'AMF et des ordonnances des tribunaux.

M. Demers avait d'ailleurs dû payer des amendes de 77 000$ et 89 000$ en 2002 et 2004. Mais cela ne l'a pas arrêté. Jusqu'en mars 2008, quand le dernier investisseur lui a confié 60 000$, il a réussi à convaincre les gens d'investir dans ses entreprises.

Il les intéressait grâce à un projet environnemental de gazéification des déchets destinée à produire de l'énergie. Le projet était basé sur le brevet d'une technologie mise au point à l'École polytechnique de Montréal.

En 2006, inquiété par les autorités réglementaires, M. Demers a transféré les certificats d'actions des actionnaires d'Enviromondial à une nouvelle société-écran américaine, United Environment Energy Corporation, sans le consentement des actionnaires.

Parallèlement, il a vendu le brevet à Enviromondial International Vanuatu Corp, une entreprise sans adresse existante, puis à Natural Blue Flame, une compagnie située au Belize dont il semble être l'unique propriétaire.

Selon le juge Chevalier, les actions de M. Demers sont l'aboutissement «de manoeuvres concertées, préméditées et mûrement planifiées visant à contourner la loi, à ne pas se soumettre aux ordonnances et dont le résultat ultime est de faire perdre aux actionnaires la valeur de leur investissement».

Le juge a imputé l'entière responsabilité des infractions à M. Demers, «maître d'oeuvre de tout le magouillage qui est à l'origine des présentes accusations».

«Il faut noter le mépris affiché par le défendeur pour les droits des actionnaires, pour les lois [...] et les organismes de réglementation», ajoute-t-il.

Le brevet, dernier espoir

Les 4000 actionnaires d'Enviromondial, qui ont investi entre 10 000$ et 30 000$ en moyenne, craignent d'avoir tout perdu.

Leur seul espoir réside dans le brevet, seul actif en jeu. Mais l'espoir est mince.

«Comme le défendeur [...] n'a jamais rien fait pour développer le brevet, cette technologie, prometteuse au début, a, au fil des années, été dépassée par d'autres plus performantes, de sorte que les actionnaires de UEEC sont aujourd'hui «Gros Jean comme devant»», note le juge Chevalier.

«Le brevet vaut quelque chose si on le récupère rapidement», croit néanmoins Gaétan Grimard.

L'École polytechnique, qui a mis au point la technologie, est aussi touchée par ce dossier, souligne le juge. La technologie est gaspillée et la réputation de l'école est atteinte. Personne de l'École n'était en mesure de commenter l'affaire hier.

Notons que le juge Chevalier a fondé sa décision sur des pertes avérées de 3,3 millions (alors que les actionnaires et l'AMF évaluent les pertes réelles à 10, voire 16 millions).

Mais Stevens Demers n'en a pas fini avec la justice. L'AMF a déposé 64 autres chefs d'accusation contre lui. Et l'Association des actionnaires souhaite que la SQ s'en mêle et porte des accusations criminelles.

L'avocat de M. Demers, Daniel Gilbert, n'a pas rappelé La Presse Affaires.