Charles Washer était venu pour le regarder droit dans les yeux. Mais Earl Jones n'a croisé le regard de personne dans l'audience, mardi. Pas grave, s'est dit M. Washer. «J'ai trouvé qu'il avait l'air détruit. Et c'était bien.»

La salle d'audience du palais de justice de Montréal était trop petite pour contenir tous ceux - présumées victimes, curieux et journalistes - qui étaient venus voir Earl Jones devant le tribunal. La comparution a cependant été très brève : une dizaine de minutes pour imposer des conditions de libération au prétendu conseiller financier et fixer une date pour la suite du processus, le 28 septembre.

Earl Jones, 67 ans, a été libéré moyennant le versement d'une caution de 30 000 $ qui a été payée, selon l'avocat Jeff Boro, par un membre de sa famille. «Il ne s'agit pas d'argent qui appartient à ses clients», a précisé l'avocat.

Il a également dû remettre son passeport, s'engager à ne pas quitter le Québec et à résider à une adresse qui n'a pas été rendue publique parce que son avocat craint que la vie de M. Jones soit en danger. «Mon client a reçu des menaces sur son répondeur, a dit Me Boro. Je sais qu'il y a beaucoup de gens en colère, beaucoup de gens désespérés, et nous savons tous que les gens désespérés peuvent faire des gestes désespérés.» Me Boro est cependant resté évasif lorsqu'on lui a demandé si les époux Jones étaient séparés ou non.

Enfin, Earl Jones ne doit pas entrer en contact avec ses anciens clients, à l'exception des membres de sa famille. Il ne doit pas non plus agir à titre de conseiller financier et faire des transactions financières pour autrui.

Entouré de nombreux agents spéciaux du palais de justice, Earl Jones a foncé hors de l'immeuble vers 16 h 30 pour s'engouffrer immédiatement dans une voiture où se trouvait déjà son avocat.

Les renseignements sur les méthodes de recrutement d'Earl Jones continuent de faire surface. Mardi, The Globe and Mail a rapporté le cas d'une infirmière atteinte d'un cancer en phase terminale qui, la veille de sa mort, avait désigné Earl Jones comme liquidateur de sa succession avec son mari. Deux mois plus tard, Earl Jones s'était présenté en cour pour devenir le seul liquidateur. Et selon la famille Ross, dont le nom figure dans la dénonciation déposée en cour, Earl Jones aurait outrepassé son mandat de régler des détails administratifs à la suite de la mort du mari et se serait approprié l'héritage laissé à ses filles.

De retour mercredi

La poursuite a porté des accusations sous huit chefs contre le soi-disant conseiller financier, soit vol et fraude de plus de 5000$ pour chacune des quatre victimes inscrites à ce jour. Comme il y aurait quelque 170 investisseurs floués par Earl Jones, le nombre d'accusations devrait augmenter à mesure que progresse l'enquête criminelle.

Une condamnation pour vol et fraude de plus de 5000$ peut entraîner jusqu'à 10 ans de prison.

La preuve doit être communiquée à la défense d'ici au 28 septembre. M. Jones devra ensuite plaider coupable ou non aux accusations portées contre lui.

La procédure contre le prétendu conseiller financier ne fait que commencer. Mercredi, un juge de la Cour supérieure doit entendre les requêtes sur la mise en faillite de la compagnie d'Earl Jones. Le 19 août, la Cour supérieure entendra les requêtes pour la mise en faillite personnelle de Jones. Ce dernier possède au moins trois propriétés : un appartement à Dorval, un en Floride et un cottage à Mont-Tremblant.

Selon l'Autorité des marchés financiers, les investisseurs auraient perdu de 30 à 50 millions dans cette fraude. Celle-ci s'apparentait à une «pyramide de Ponzi», un stratagème qui consiste à verser à des investisseurs de l'argent tiré de leurs propres comptes ou de l'argent déboursé par d'autres investisseurs, plutôt qu'un réel profit gagné en Bourse ou par un autre moyen de placement.

Des mesures resserrées

Pour Danielle Octeau-Manouvrier, qui dit avoir été flouée d'environ 20 000 $, le gouvernement doit agir pour envoyer un message clair aux fraudeurs. «Sinon, c'est comme si on leur disait de venir ici pour nous flouer, qu'ils n'auront qu'une tape sur la main.»

À Ottawa, le ministre de la Sécurité publique, Peter Van Loan, a vivement réagi aux accusations portées contre le financier montréalais, affirmant que le gouvernement conservateur était déterminé à lutter contre les «criminels en col blanc».

«Les gens ont raison d'être en colère lorsqu'ils se rendent compte que leur argent a disparu, quand ils réalisent qu'ils ont été victimes de fraude, a souligné M. Van Loan. Ces gens méritent d'avoir un système de justice qui se bat pour eux.»

Le lieutenant de Stephen Harper au Québec, Christian Paradis, s'est dit préoccupé par la recrudescence des crimes financiers, notamment au Québec.

«Nous avons l'intention de protéger les victimes flouées dans ce genre de crime. Nous voulons sévir sur le plan des peines pour décourager ces crimes», a-t-il réitéré, ajoutant qu'il espérait que les partis de l'opposition offrent davantage de collaboration afin de durcir les lois pour lutter contre les crimes économiques.

- Avec Malorie Beauchemin et La Presse Canadienne