C'est sans contredit l'un des documents les mieux protégés au Québec. Son escorte policière dépasse même celle du premier ministre Jean Charest.

Le budget du Québec, qui sera présenté demain à l'Assemblée nationale, a été préparé depuis des semaines sous haute surveillance policière. Durant la période budgétaire, de quatre à huit agents de la Sûreté du Québec sont présents en tout temps dans les bureaux du ministère des Finances. Ils surveillent les documents budgétaires, qui ne quittent le ministère des Finances qu'en direction du bureau du premier ministre. Les documents se déplacent alors sous escorte policière.

 

Imprimés sur du papier crypté, les documents budgétaires sont impossibles à télécopier ou à numériser. «C'est heavy comme mesures, se rappelle un conseiller du gouvernement Charest durant le premier mandat qui a parlé à La Presse Affaires sous le couvert de l'anonymat. Il est impossible de sortir du ministère avec un ordinateur portable ou un CD sous une autorisation spéciale. Ce sont toutefois des mesures nécessaires pour respecter le secret budgétaire.»

«Les règles de sécurité sont extrêmement sévères, dit un ancien conseiller du premier ministre Lucien Bouchard. Tous les documents et les différentes versions du budget sont identifiés. C'est tout juste s'il n'y a pas un GPS sur chaque document.»

Grand secret

Les fonctionnaires sont évidemment aussi tenus au secret budgétaire. «Ils doivent tous s'engager à respecter le secret budgétaire lors d'une cérémonie officielle», dit Claire Massé, directrice générale de l'administration du ministère des Finances du Québec.

Si la Sûreté du Québec protège les documents budgétaires avec autant d'attention, c'est pour éviter que des gens mal intentionnés tirent avantage des mesures du budget avant les autres.

Le respect du secret budgétaire est une vieille tradition parlementaire britannique, mais les mesures de sécurité n'ont pas toujours été aussi importantes. «Les officiers de la GRC ne se promenaient pas dans les bureaux du ministère des Finances, mais nous avions des officiers à l'imprimerie», se rappelle l'ancien ministre des Finances du Canada Marc Lalonde, qui a été le grand argentier du pays de 1982 à 1984.

Bien malgré lui, l'ancien ministre libéral a failli briser le secret budgétaire. Au cours de la traditionnelle séance de photos, des journalistes de la télévision avaient appris la création d'un nouveau programme gouvernemental en faisant un gros plan sur une page du budget avec leur caméra. «Ça a fait tout un tollé, dit M. Lalonde. L'opposition demandait ma démission. C'était une tempête dans un verre d'eau, mais j'ai haussé le financement du programme pour protéger le secret budgétaire.»

Au Québec, la menace de fuites d'informations dans les médias avait forcé le gouvernement Bourassa à devancer en catastrophe la présentation de son budget d'une semaine en 1987 et d'une journée en 1992.