La progression est importante: depuis 1980, le nombre de Québécois qui ne paient pas d'impôt sur le revenu a progressé trois fois plus vite que ceux qui doivent envoyer leur chèque à Québec.

Selon des données rendues publiques vendredi par le ministère des Finances, le nombre de contribuables non imposables a bondi de 3,9% en moyenne par année, entre 1980 et 2006, pour atteindre 2,2 millions.

 

Par contre, le nombre d'imposables a progressé d'à peine 1,3% pendant la même période, à 3,7 millions. Résultat: en 2006, 36,9% des contribuables ne payaient d'impôt sur leurs revenus. En 1980, c'était 23,5%.

Cette situation inquiète l'économiste en chef de l'Institut économique de Montréal, Marcel Boyer. «Pour des raisons de cohésion sociale, de participation, il serait mieux de faire payer à ces gens-là un peu d'impôt.»

Dans les faits, cela signifie donc que les 19% de contribuables les plus riches - ceux qui gagnent 50 000$ et plus - ont payé 68,9% de l'impôt des particuliers en 2006.

Ces données peuvent avoir un impact jusque dans l'isoloir, selon M. Boyer: «Les gens peuvent être relativement favorables à des augmentations de programmes, de dépenses, en sachant que, de toute façon, ils ne contribuent pas à cette augmentation de dépenses du fait qu'ils ne paient pas d'impôt.»

Pour être juste, soulignons aussi que le nombre de non imposables a reculé de façon importante en 2005, de 6,1%. Au ministère des Finances, on explique cette diminution par le Soutien aux enfants, qui est devenu un crédit d'impôt remboursable. «Le vrai chiffre, explique Jacques Delorme, porte-parole du Ministère, c'est plus 60-40» (la proportion des imposables et des non-imposables).

Trois facteurs

Selon l'économiste Luc Godbout, de l'Université de Sherbrooke, la progression des non-imposables ces dernières années s'explique par trois facteurs. D'abord, «on est devenu plus généreux avec les contribuables». En clair, cela veut dire que des contribuables à faibles revenus qui payaient de l'impôt n'en paient plus.

Mais il y a autre chose, selon lui: des contribuables qui ne remplissaient pas de déclaration de revenus sont maintenant poussés à le faire pour bénéficier de différents programmes, comme le remboursement de la TVQ. Enfin, il y a des étudiants, qui seraient plus nombreux qu'il y a près de trois décennies à travailler, mais qui ne gagnent pas assez pour être imposés sur leur revenu. «Si ce sont de futurs contribuables, il n'y a pas à s'inquiéter. Ça permet de mettre un peu de bémols quand on entend qu'un contribuable sur deux ne paie pas d'impôt au Québec.»

En fait, la question intéressante, c'est de voir ce que font les autres provinces, l'Ontario notamment. Là-bas, explique M. Godbout, les contribuables les plus riches - ceux qui gagnent 60 000$ et plus - paient 72% des impôts. Par contre, ils ne sont que 30%, selon des données de 2005 de l'Agence du revenu du Canada, à être exemptés d'impôt.

Au final, donc, «c'est la classe moyenne qui en paie plus ici... On prélève une charge plus grande à la classe moyenne.»

Du même souffle, il ajoute que les dernières baisses d'impôts du gouvernement Charest ont justement ciblé la classe moyenne. «Tous ceux qui gagnent entre 32 000$ et 75 000$ ont bénéficié» de ce rajustement des tranches d'impôt.