L'arrêt des activités de l'usine de GM à Boisbriand avait été prévu depuis tellement longtemps qu'aucun des 1200 employés qui y travaillaient encore n'a été surpris, en 2000, lorsque la décision de GM a annoncé sa fermeture définitive.

Normand Guindon, 56 ans, y a passé 20 ans et, pendant toutes ces années, rappelle-t-il, il a été question de fermeture. Le mardi 27 août 2002, la dernière voiture, une Camaro Z28, est arrivée au bout de la chaîne de montage.

 

Comme la plupart des autres travailleurs qui ont été licenciés, Normand Guindon n'a pas cherché d'autre emploi. À l'âge que les employés avaient et avec l'ancienneté qu'ils avaient accumulée, la compensation financière et le régime de retraite versés par GM leur permettaient de jouir d'une retraite bien méritée.

S'ils s'attendaient à la fermeture de leur usine, personne parmi eux n'avait envisagé que GM puisse faire faillite. Jusqu'à récemment, lorsqu'une question - LA question - a commencé à hanter tout le monde. Qu'arrive-t-il à notre régime de retraite si GM fait faillite?

La question, pour l'instant, n'a pas de réponse. À la section locale du Syndicat des travailleurs canadiens de l'automobile, où Daniel Bélanger s'occupe toujours à temps plein des intérêts des ex-employés de GM, aux frais de la compagnie, les appels déferlent depuis que les difficultés financières de GM font les manchettes. «Allons-nous perdre nos pensions?» demandent tous ses interlocuteurs.

Pour répondre à cette inquiétude, des hauts gradés du syndicat à Toronto ont été invités à venir rencontrer les ex-employés de Boisbriand le 17 février pour une réunion spéciale au cours de laquelle tous les scénarios possibles seront évoqués. «Dans le pire des cas, on pourrait perdre 40% de nos pensions», avance Daniel Bélanger.

Si ce n'était de cette épée de Damoclès qui pend au-dessus de leurs têtes, les ex-employés de GM couleraient des jours heureux. À la fermeture de l'usine en 2002, 90% d'entre eux ont eu droit à une compensation de départ et à la pleine retraite, soit près de 3000$ par mois à vie. Jusqu'à cette année, ils bénéficiaient d'une assurance médicaments illimitée à peu près gratuite. Depuis le 1er janvier, ils doivent payer une part de 10% sur leurs achats de médicaments, et un plafond a été fixé à 250$ par année.

Après 30 ans de service dont 22 ans sur la ligne de montage, Pierre Dagenais est satisfait de sa vie de retraité. «Ma blonde travaille et moi, je reste à la maison. J'adore ça», dit-il.

Il joue au hockey avec les boys une fois par semaine. Le club des ex joue aussi à la balle l'été et organise d'autres activités toujours très courues.

Les anciens de GM continuent de conduire des voitures GM, parce qu'ils les aiment mais aussi parce qu'ils profitent à vie des rabais intéressants consentis aux employés. Récemment, c'est devenu aussi une façon d'aider la compagnie en difficulté et de préserver leur retraite, a dit l'un d'eux.

La plupart des ex-employés avaient accumulé assez d'ancienneté pour avoir droit à une pleine retraite parce qu'en 2002, GM était en mode rationalisation à Boisbriand, et ce, depuis une dizaine d'années déjà. L'usine québécoise, qui avait déjà employé 4200 personnes, n'en avait plus que 1200 lors de sa fermeture. Aucune embauche n'avait été faite depuis 10 ans. L'entreprise avait aussi éliminé un quart de travail en 1991.

Cette année-là, Denis Robitaille, est parti pour Scarborough, en Ontario, travailler dans une autre usine GM. Un an et demi plus tard, cette usine a fermé et il est revenu à Boisbriand, où il a travaillé jusqu'à la fermeture.

À 44 ans, Denis Robitaille était trop jeune pour la retraite et il est reparti pour Oshawa, pour compléter les années de service qui lui donneraient droit à la pleine retraite dans une autre usine GM. «Dans mon cas, le choix était facile à faire. Je perdais de 250 000$ à 300 000$ si je n'y allais pas», explique-t-il.

Denis Robitaille est resté trois ans et demi à Oshawa, soit jusqu'à ce que l'usine ferme à son tour, ce qui fait de lui un des rares employés de GM à avoir vécu trois fermetures consécutives.

Au cours des trois ans et demi qu'il a passés à Oshawa, Denis Robitaille est revenu presque tous les week-ends à Boisbriand. Une promenade de 500 kilomètres aller seulement. À l'usine ontarienne, les réfugiés québécois de GM n'ont pas été accueillis à bras ouverts, du moins au début. «On a passé deux ans le couteau entre les dents», se rappelle Denis Robitaille.

Daniel Juneau est lui aussi parti pour Oshawa en 2002, avec sa femme et ses deux filles, qui n'étaient pas enchantées de ce changement de vie. «Surtout la plus vieille, qui avait 14 ans à ce moment-là», précise-t-il.

À Boisbriand, Daniel Juneau était sur la ligne de fabrication des moteurs. À Oshawa, il a fait un peu de tout. Il y a passé le temps qu'il lui fallait pour avoir droit à la pleine retraite, pas un jour de plus. «Ça avait été entendu avec ma femme dès le départ», précise-t-il.

Richard Bourassa, lui, n'a pas voulu s'exiler à Oshawa. Après la fermeture de l'usine, l'électricien a travaillé dans la construction, où les travailleurs spécialisés ont été très en demande ces dernières années. Depuis juin 2006, il travaille à temps plein à la Société de transport de Montréal. Il a été embauché par la STM à l'âge de 56 ans.

Richard, Normand, Pierre et les autres ont tourné la page. Leur usine n'existe plus; elle a été rasée pour faire place au nouveau quartier de commerces et de résidences pour baby-boomers. Mais on n'oublie pas facilement 30 années de vie.

Eddy Roussy, qui s'occupe du comité des retraités, organise des rencontres où une centaine d'anciens se retrouvent une fois par mois. Il conserve une cassette où il a filmé la démolition de l'usine. Il pense faire un livre sur l'histoire de GM à Sainte-Thérèse.

«Quand je passe devant, ça me faire encore quelques chose», dit-il.

1500

À terme, Faubourg Boisbriand devrait générer autant d'emplois que l'usine GM

à sa fermeture, soit environ 1500.

21,8%

En 2001, 23,1% des résidants de la région travaillaient à l'extérieur de celle-ci. En 2006, cette proportion n'était plus que de 21,8%.

 

Baril, HélèneUn prêt à risque

Lorsqu'il a avancé 110 millions à GM en 1987, le gouvernement du Québec était loin de penser que GM pourrait être un jour au bord de la faillite et dans l'impossibilité de rembourser.

Cette éventualité est maintenant plus probable que jamais, depuis que le gouvernement américain songe à laisser GM se restructurer sous la protection de la loi sur la faillite avant de lui verser une aide financière.

Si ça arrivait, le gouvernement du Québec se retrouvera sur la liste des créanciers, a fait savoir un porte-parole du ministère des Finances.

Un prêt de 220 millions sans intérêt a été consenti à GM par les gouvernements de Québec et d'Ottawa pour la construction d'un atelier de peinture à son usine de Boisbriand. L'usine a fermé ses portes définitivement 5 ans après. D'une durée de 30 ans, le prêt est remboursable le 1er avril 2017.

Le gouvernement américain est prêt à verser une aide financière de 17,4 milliards$US à GM et Chrysler, mais il a promis que cette aide temporaire ne coûtera rien aux contribuables américains. Si le sauvetage réussit, les deux entreprises pourront rembourser le gouvernement.

Mais si le plan de relance de fonctionne pas et que les entreprises font faillite, ce sont les banques qui seraient remboursées en premier. C'est ce que le gouvernement américain voudrait éviter en les forçant à se restructurer avant de leur verser l'argent.

À Québec comme à Ottawa d'ailleurs, personne n'avait prévu protéger l'argent des contribuables en cas de faillite de GM.