L'industrie des médias écrits nage en pleine incertitude à deux semaines du dépôt du budget du ministre des Finances, Bill Morneau, le 19 mars prochain.

L'aide aux médias annoncée lors de la mise à jour économique le 21 novembre dernier, une enveloppe de 595 millions sur cinq ans, doit être comprise dans le budget, mais tout indique que sa mise en oeuvre sera sensiblement retardée.

Le ministre Morneau avait annoncé trois mesures en novembre, soit un crédit d'impôt sur la masse salariale liée à la production d'information, un crédit d'impôt de 15 % aux citoyens qui s'abonneront à un média numérique et la possibilité pour les entreprises de se transformer en organismes à but non lucratif afin de remettre des reçus pour des dons.

La plus importante de ces mesures - le crédit d'impôt sur la masse salariale liée à la production d'information - prévoyait cependant la mise sur pied d'un comité d'experts de l'industrie formé de journalistes et d'entreprises médiatiques pour définir les critères d'admissibilité au crédit d'impôt, dont l'ampleur n'a jamais été précisée.

Or, le comité n'a toujours pas été créé et Ottawa a maintenu le silence radio sur cette question depuis, ce qui a fait craindre à plusieurs que l'aide ne sera pas au rendez-vous.

« On se questionne sur le fait que, malgré l'annonce en novembre qu'un comité d'experts se pencherait sur la question, qu'il n'y ait toujours pas de comité qui ait été formé jusqu'à présent », a déclaré la présidente de la Fédération nationale des communications (FNC-CSN), Pascale St-Onge, en entrevue avec La Presse canadienne.

Confirmation, mais pas de détails

Des demandes insistantes de La Presse canadienne, d'abord auprès du ministère des Finances, puis de Patrimoine Canada, qui est responsable du futur programme d'aide, ont finalement permis d'obtenir la confirmation que les trois mesures annoncées à l'automne seront bel et bien dans le budget.

Dans un premier courriel, après avoir répété que « pour qu'une démocratie fonctionne bien, il est essentiel d'avoir des médias d'information solides et indépendants », Patrimoine Canada a ajouté que « le gouvernement a annoncé dans l'énoncé économique de l'automne 2018 qu'il introduirait trois nouvelles initiatives à l'appui du journalisme canadien, dont deux crédits d'impôt et une mesure fiscale, pour encourager les dons de bienfaisance aux organismes d'information à but non lucratif. »

« Les sommes ont été annoncées en novembre dernier », réplique Pascale St-Onge, qui a été à l'avant-plan des démarches auprès du gouvernement Trudeau pour obtenir une telle aide. « Mais il restait à franchir l'étape de nommer un programme - donc définir qui y aurait droit, les critères d'admissibilité et tout le reste. Nous sommes rendus en mars et le comité n'a toujours pas été normé. C'est certain que le délai est court et qu'il faudrait procéder le plus rapidement possible », a-t-elle ajouté.

Travail en coulisses ?

Il semble donc, d'après les assurances obtenues de Patrimoine Canada, que le financement des trois mesures sera dans le budget, mais il serait illusoire de penser que les critères de distribution de cette aide seront établis d'ici deux semaines, surtout que personne dans l'industrie n'a été consulté jusqu'ici, du moins de manière publique.

Après des demandes de clarification sur la formation du comité, Patrimoine Canada a répondu cette fois que « tel qu'annoncé dans l'énoncé économique de l'automne 2018, un comité d'experts indépendants formé de membres de l'industrie des médias sera mis sur pied pour établir les critères d'admissibilité. »

Pourtant, dès novembre, tous les acteurs au dossier s'entendaient pour dire que la détermination des critères d'admissibilité serait une démarche complexe et sujette à de nombreux différends.

Patrimoine Canada a toutefois ajouté dans son dernier courriel à La Presse canadienne que « le gouvernement du Canada a déjà commencé le travail avec les représentants de l'industrie des médias à ce sujet », une affirmation qui laisse entendre qu'un travail de coulisses a déjà été amorcé, bien que rien n'ait filtré à ce sujet.

Il faut cependant s'attendre à ce que le fameux comité d'experts ne soit formé qu'après le dépôt du budget. Ce n'est qu'à ce moment qu'il pourra commencer à se pencher sur les critères d'admissibilité à l'aide annoncée. C'est donc dire que l'aide elle-même ne sera pas disponible avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

« Le gouvernement devrait au moins signaler quelles sont les étapes à franchir pour en arriver à un programme normé en bonne et due forme, avec tout le processus législatif que ça nécessite d'ici à la fin de la session parlementaire », a fait valoir Mme St-Onge.

« Acheter les médias »

Ce délai inquiète les intervenants de l'industrie ; dès l'annonce du programme, le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, avait accusé le gouvernement de vouloir « acheter » les médias avec cette aide.

Une victoire des conservateurs aux élections d'octobre prochain sonnerait sans doute le glas de ces mesures, surtout si les critères d'admissibilité ne sont pas encore adoptés ou même décidés.

Les médias réclament à grands cris cette aide depuis plusieurs années, eux dont la survie est menacée à terme par la perte des revenus publicitaires qui ont glissé vers les géants du web.