Torstar a plus que doublé lundi l'effectif de journalistes de ses quotidiens gratuits Metro de l'Ouest canadien, une annonce inhabituelle pour une industrie en décroissance, qui la place en concurrence directe avec l'un de ses plus grands rivaux.

Selon le chef de la direction de Torstar, John Boynton, cette initiative représente un investissement majeur en journalisme pour Torstar à l'extérieur de son siège social de Toronto, où il publie le quotidien Toronto Star.

Une vingtaine de journalistes viendront s'ajouter aux 15 oeuvrent actuellement dans les journaux Metro de Vancouver, de Calgary, d'Edmonton, tandis qu'un nombre non précisé de journalistes seront ajoutés à Toronto pour jouer un rôle d'appui, a indiqué M. Boynton.

«C'est une journée excitante pour les médias au Canada», a-t-il dit lors d'un entretien.

«Tout le monde semble aller dans une direction, qui est un lent déclin continu des coûts et une dégradation du produit, et une contraction. Je crois que nous allons dans la direction complètement opposée. Nous allons investir dans ce que nous faisons de mieux.»

Les embauches ont pour objectif de gagner de nouveaux lecteurs et d'attirer un certain lectorat des publications existantes, a-t-il précisé. Il n'a cependant pas voulu donner de détails financiers et a indiqué qu'aucune date limite n'avait été établie pour évaluer le succès de cette initiative.

L'attention que porte Torstar aux villes de l'Ouest où Postmedia Network Canada Corporation détient des grands quotidiens suggère que l'éditeur pourrait y détecter une occasion concurrentielle, a noté Avril Lindgren, professeur agrégée de l'École de journalisme Ryerson, à Toronto.

«Je soupçonne que c'est une prise de conscience des importantes coupes qui se sont produites dans les journaux de Postmedia de ces communautés», a-t-elle souligné.

«Les rondes de mises à pied se sont succédé» dans ces journaux, a-t-elle poursuivi, et ont affecté leur habileté à produire du contenu local de qualité et du journalisme d'enquête.

Pratiques anticoncurrentielles?

Parallèlement à cette expansion, le Bureau de la concurrence du Canada enquête sur des pratiques anticoncurrentielles présumées des deux entreprises. Celles-ci ont annoncé, en novembre, un vaste échange de journaux qui a entraîné un changement de propriétaire pour 41 publications, et la fermeture de 36 d'entre elles, essentiellement dans les régions de l'Ontario qui étaient desservies par plus d'un journal régional. En tout, près de 300 emplois ont été supprimés.

Dans le cadre de l'entente, Postmedia Network a racheté à Torstar les journaux Metro de Winnipeg et d'Ottawa et les a fermés, tandis que Torstar a fait la même chose avec les quotidiens gratuits 24Hours de Toronto et Vancouver.

Aucune accusation n'a été déposée et les allégations du Bureau de la concurrence n'ont pas été prouvées en cour.

M. Boynton n'a pas voulu faire de commentaire au sujet de l'enquête du Bureau de la concurrence. Selon lui, l'initiative annoncée lundi est dans les cartons depuis quelques mois et, même si les cinq journaux Metro restants - excluant celui de Montréal, qui appartient à Transcontinental - sont rebaptisés StarMetro, les efforts se concentrent surtout sur le produit numérique.

«Ce n'est pas un lancement de journaux. C'est un lancement de "nouvelles" dans ces marchés, a expliqué M. Boynton. Et c'est un lancement d'abord pour le numérique.»

Ces journaux seront utilisés pour diriger les lecteurs vers les versions en ligne de thestar.com, qui varient d'une ville à l'autre et qui proposeront des nouvelles régionales ainsi que des nouvelles nationales et internationales, en plus de chroniques. Les consommateurs à l'extérieur de ces marchés ciblés auront droit à une version nationale de thestar.com.

Le quotidien Metro de Halifax sera compris dans cette transformation, a ajouté M. Boynton, mais la société n'a pas encore de détails à donner au sujet des changements qui y auront lieu. L'éditeur publie aussi une version torontoise du quotidien gratuit.

Une «voix progressiste» dans les médias

M. Boynton a assuré que, «contrairement à la croyance populaire», il existe un appétit dans l'Ouest canadien et dans les Maritimes pour une «voix progressiste» dans les médias, ajoutant que les StarMetro s'efforceront d'égaler l'attention que porte le Star aux questions sociales et aux enquêtes.

La société n'a pas l'intention, dans l'immédiat, d'ériger un mur payant pour les sites internet de ces publications, a indiqué le porte-parole de Torstar, Bob Hepburn.

L'investissement de Torstar est inhabituel pour l'industrie canadienne des journaux, qui perd des titres et des travailleurs depuis des années.

Mme Lindgren a indiqué qu'une banque de données à laquelle elle participe démontre que 244 sources de nouvelles locales en tout genre dans 181 communautés - incluant 213 journaux dans 168 communautés - ont disparu depuis 2008 au Canada.

Outre le Star et son site affilié, Torstar détient plusieurs journaux quotidiens et communautaires en Ontario, une participation de 56,4 pour cent dans VerticalScope et des participations minoritaires dans diverses entreprises.

Torstar détient aussi un investissement dans La Presse canadienne dans le cadre d'une entente conjointe avec une filiale du Globe and Mail et la société mère de La Presse de Montréal.