Les minutes précédant les galas télévisés québécois ont de plus en plus des allures de Hollywood. Artistes, designers et détaillants s'associent pour créer l'événement et s'exposer sous leur plus beau jour devant le public. Ces apparitions valent leur pesant d'or... quand on y met le temps et les moyens.

Il n'y aura pas de tapis rouge avant la présentation du 29e gala des prix Gémeaux, dimanche. Officiellement. Car si Radio-Canada n'a pas prévu d'émission d'avant-gala, il y aura bel et bien un espace dédié à l'arrivée des convives à l'entrée du Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts où se posteront naturellement les caméras des médias.

Au lendemain du gala, on saura donc qui a porté quoi et qui a fait l'unanimité auprès des critiques et blogueurs mode. Une façon de faire qui a pris de l'ampleur ces dernières années, un nombre croissant de personnalités se présentant devant les caméras avec des tenues de designers ou de détaillants pour qui le tapis rouge tient lieu de vitrine.

La valeur d'une apparition de son vêtement sur un tapis rouge? «Facilement 100 000$, estime la designer Mélissa Nepton. C'est difficile à quantifier, mais c'est ce que ça vaut à mes yeux. Grâce à Anouk Meunier, pour qui j'ai confectionné une robe pour l'animation du tapis rouge du gala Artis 2014, j'ai attiré l'attention. Sur le plan marketing, c'est la chose que je préfère faire.»

«Ça a assurément un effet», répond la créatrice Julie Pesant, d'Éditions de robes. Elle voit son chiffre d'affaires croître de 20% chaque année depuis près de trois ans. «Les personnalités qu'on habille ont une résonance. Au départ, je faisais des robes cocktail, mais les artistes m'ont poussée à faire des robes longues.»

Depuis dix ans, Le Château collabore étroitement avec des artistes. Leurs apparitions sur des tapis rouges, à la télévision et sur scène lors de galas l'aident à se positionner comme designer et comme marque d'ici. L'entreprise offre chaque fois ses tenues personnalisées, évaluées de 300 à 500$. «Celles-ci se retrouvent une semaine plus tard dans nos magasins au Canada, et les clients les demandent», note Franco Rocchi, vice-président principal, ventes et opérations, du Château.

Dimanche, quatre personnes porteront des tenues Le Château, et Mélissa Nepton habillera trois invités. Éditions de robes, qui habille tant les gens devant que derrière les caméras, sert 17 clients pour l'occasion. «C'est mon record! lance Julie Pesant. Quand celles qui les portent se retrouvent dans les mieux habillées, ça me fait plaisir. Ça confirme que l'artiste et moi avons fait un bon travail, que le look était parfait et que la cliente va revenir.»

Si Mélissa Nepton et Le Château offrent leurs tenues, Julie Pesant vend ses robes qui valent de 295 à 795$. «J'accessoirise et personnalise les looks, justifie-t-elle. J'ai déjà développé trois robes pour Anne Dorval. Des fois, j'achète deux, trois tissus... Je donne des rendez-vous en dehors des heures d'ouverture de la boutique. Je tiens un registre pour protéger l'exclusivité. Le public pense à tort que les robes sont toujours prêtées, à cause de Hollywood.»

Ici, BCBG le fait, mais d'autres préfèrent ne pas s'y aventurer, de peur de récupérer une marchandise abîmée. «Les bijoux sont par contre plus faciles à prêter, note Eva Hartling, vice-présidente, marketing, de Groupe Birks. Il n'y a pas d'ajustements à faire et peu de risques qu'ils soient endommagés.»

Mélissa Nepton prône toutefois l'échange de bons procédés. «Il n'y a pas assez de créateurs qui travaillent comme moi, estime-t-elle. Le nombre de personnalités qui ont le salaire de Véronique Cloutier est faible. Quand j'ai le temps, j'approche donc les artistes. Faire du sur-mesure vaut de l'or pour moi. Je fais des duplicata ensuite. Le lendemain du dernier gala Artis, notre site internet a obtenu près de 1000 clics, ce qui est beaucoup pour nous.»

Stratégie marketing

Grâce à la multiplication des médias et des blogues, ou encore aux défuntes émissions Flash et Star Système, les tapis rouges entrent de plus en plus dans la stratégie marketing des créateurs.

Mais un effort est encore à faire pour qu'ils le soient systématiquement et pour qu'on tire profit au maximum de la vitrine, estiment certains. «Montréal n'a pas de festivals de la même envergure que le Festival international du film de Toronto, mais on a vu une grande avancée dans l'organisation des premières de films, explique Eva Hartling. Et l'internationalisation de la diffusion des films fait en sorte que nos vedettes font d'autres tapis rouges à travers le monde. C'est donc de plus en plus important pour nous, car le public porte attention à nos produits et les achète. Le magazine People peut être regardé par 50 millions de personnes!»

«Un tapis rouge, c'est une pub tant pour les créateurs que pour les artistes, donc il faut en profiter», clame la styliste Ariane Simard.

Mais les designers ne sont pas tous prêts à sauter dans l'arène. «Le réflexe n'est pas encore là, constate la styliste Olivia Leblanc. Avec certains, j'ai été très claire que le gala des Gémeaux s'en venait, que je voulais travailler avec eux, sans succès dans bien des cas. Ce n'est pas tout le monde qui confectionne des robes de gala ou qui a les ressources pour concevoir des tenues spécifiques. Cette année, ce fut un casse-tête, car les designers sont débordés et qu'il y a une plus forte demande. On est dans une pente ascendante, mais ce n'est pas encore ce que ça pourrait être.»

6995 $

Prix des boucles d'oreilles de la collection Rosée du matin de Birks prêtées à l'actrice Suzanne Clément lors d'un tapis rouge cette semaine pour la première du film Mommy à Toronto. Au Festival international du film de Toronto, Birks a déployé sa marque, présentant notamment un collier de diamants valant 1,4 million lors d'un événement baptisé «Champagne et diamants». Le joaillier a par la suite eu des discussions avec l'entourage de quelques actrices intéressées à porter le luxueux bijou lors d'un des tapis rouges du festival. Celles-ci n'ont toutefois pas abouti. «Il fallait trouver une actrice en mesure de payer un gardien pour l'escorter», explique Francis Guindon, chef des relations publiques de Birks.