Sanctionner les entreprises étrangères qui « trafiquent » avec Cuba : le président américain Donald Trump menace d'activer un article d'une loi de 1996 sur l'embargo contre l'île caribéenne, jusque-là systématiquement gelé par Washington pour ne pas froisser ses alliés.

Le chapitre III de la loi Helms-Burton, qui renforce l'embargo de 1962, permettrait aux exilés cubains de poursuivre devant les tribunaux américains les entreprises étrangères pour les gains réalisés grâce à des sociétés nationalisées après la révolution de 1959.  

« Nous encourageons toute personne faisant des affaires à Cuba à examiner si elle fait du trafic de biens confisqués et est complice de cette dictature », a fait savoir le 16 janvier le département d'État.  

Jusque-là, les présidents américains suspendaient cette clause tous les six mois pour éviter d'entrer en confrontation avec les alliés des États-Unis. Mais Donald Trump vient de rompre avec cette pratique et le gouvernement a fixé le 1er février un délai de 45 jours pour procéder à une « révision attentive » de ce chapitre en fonction des intérêts américains.  

Washington menace ainsi de remettre en selle des milliers de plaintes en instance depuis la nationalisation de sociétés étrangères à Cuba en 1960.

Cette offensive intervient alors que le président américain a récemment déclaré que « les jours du communisme étaient comptés au Venezuela, mais aussi au Nicaragua et à Cuba », au moment où Washington exerce une très forte pression sur le président vénézuélien Nicolas Maduro.

« L'administration du président Trump cherche à faire fuir les investissements de Cuba », déplore le chef de la délégation de l'Union européenne (UE) à La Havane, Alberto Navarro, qui dénonce une « épée de Damoclès » planant au-dessus des entreprises étrangères installées à Cuba.  

L'UE est le premier investisseur étranger sur l'île et, depuis 2017, son premier partenaire commercial. « Nous regardons cela avec une très grande préoccupation [...] Nous ne pouvons accepter qu'un pays veuille imposer ses lois au-delà de ses frontières », a ajouté M. Navarro, interrogé par l'AFP.  

Milliers de réclamations

L'application d'une telle « aberration légale et politique » mettrait Cuba en difficulté en matière d'investissements étrangers, reconnaît l'ex-diplomate et politologue cubain Jesus Arboleya.

L'île socialiste tente de capter des investissements étrangers pour relancer son économie, frappée de nombreuses pénuries. En 2017, elle n'a attiré que 2 milliards de dollars d'investissements, loin des 5 milliards nécessaires pour relancer la croissance.  

« Notre pays est prêt à affronter toutes les mesures de renforcement de l'embargo, y compris l'application de nouveaux éléments de la loi Helms-Burton », a répliqué le ministre des Affaires étrangères cubain, Bruno Rodriguez.

Parmi les entreprises qui pourraient être touchées figurent la canadienne Sherritt International, qui possède une société mixte propriétaire de l'usine de nickel Pedro Soto Alba, ancienne propriété de la Moa Bay Mining Company, qui lui réclame 88 millions de dollars, et l'emblématique Hotel Habana Libre, ex-Hilton, géré par l'entreprise espagnole Melia.

Dans les années 1960, Fidel Castro a nationalisé les entreprises étrangères. Les sociétés du Canada, de Suisse, Espagne, France et Grande-Bretagne, ont reçu des compensations. Mais la rupture des relations diplomatiques avec les États-Unis et l'embargo ont empêché tout accord avec Washington.  

Une Commission pour le règlement des réclamations à l'étranger (FCSC), dépendant du ministère américain de la Justice, a recensé près de 6000 réclamations pour un montant de 1,9 milliard de dollars. Avec un taux d'intérêt annuel de 6 %, cela représenterait 6 milliards de dollars, selon une étude de Richard Feinberg, de Brookings'Latin America Initiative.  

Mais « conformément au droit international coutumier et aux pratiques judiciaires du pays, les États-Unis ne défendent que les plaignants » qui étaient citoyens américains au moment de la saisie, rappelle M. Feinberg.  

L'activation du chapitre III romprait avec cette pratique, en validant les revendications des émigrants cubano-américains naturalisés, ce qui augmenterait le nombre de procès par dizaines de milliers.

En 1996, Cuba a immédiatement réagi avec la loi 80, qui exclut des compensations pour « toute personne née ou naturalisée aux États-Unis » qui invoquerait la loi Helms-Burton.  

La Havane se dit ouverte à discuter des compensations hors de cette loi, mais réclame en même temps le paiement de 300 000 millions de dollars pour les « dommages matériels et humains » causés par l'embargo.