La Banque centrale européenne a surpris jeudi en programmant pour la fin de l'année l'abandon de ses vastes rachats de dettes, à moins que les prochains mois ne voient l'inflation replonger en zone euro.

Guettée depuis des mois, cette décision est «un peu plus audacieuse» qu'attendu, résume Jennifer McKeown, analyste de Capital Economics, expliquant la spectaculaire réaction des marchés.

En baisse dans la matinée, les Bourses européennes se sont en effet envolées dans la foulée de l'annonce, pendant que l'euro reculait à 1,16 dollar et que les rendements obligataires se détendaient.

Réunie à Riga, en Lettonie, la Banque centrale européenne va diminuer à l'automne ses rachats d'actifs publics et privés, un programme baptisé «QE» et destiné depuis 2015 à soutenir l'économie, avant de les arrêter en fin d'année.

L'institution monétaire, qui a déjà déversé plus de 2400 milliards d'euros par ce biais, devrait abaisser le rythme du QE à 15 milliards d'euros mensuels entre octobre et décembre, contre 30 milliards depuis janvier.

Mais la BCE, traditionnellement réticente à se lier les mains, conditionne cette décision à des données «confirmant les perspectives d'inflation» à moyen terme.

«Intelligent»

Loin d'être anecdotique, cette précision signe «un compromis de Salomon» au sein de l'institut, en ménageant «une porte de sortie» aux banquiers centraux si la situation devait se dégrader, décrypte Carsten Brzeski, économiste chez ING Diba.

Ce numéro d'équilibriste «est courageux», compte tenu des risques sur la zone euro, mais «intelligent», puisqu'il prépare les esprits en conservant de la flexibilité, salue Marcel Fratzscher, président de l'institut économique allemand DIW.

La BCE a par ailleurs précisé les attentes sur ses taux directeurs, pour l'heure maintenus à leur plancher historique: leur remontée n'interviendra pas avant la fin de l'été 2019, soit bien après l'arrêt du QE.

Le président de l'institution, Mario Draghi, a brossé de l'économie un tableau nuancé: si la conjoncture souffre «d'incertitudes croissantes» et des tensions commerciales, l'inflation remonte plus que prévu.

La BCE s'attend désormais à voir le PIB de la zone euro croître de 2,1% cette année - contre 2,4% lors de ses dernières prévisions en mars - avant de ralentir à 1,9% l'an prochain et 1,7% en 2020.

À l'inverse, l'inflation bénéficie de l'envolée du baril de pétrole et de la hausse des salaires, et devrait s'établir à 1,7% cette année et les suivantes, contre une précédente prévision de 1,4% pour 2018 et 2019.

L'Italie, un «épisode»

Le banquier italien a affiché sa «confiance» dans les chances de voir l'évolution des prix se caler sur le mandat de la BCE, soit un niveau légèrement inférieur à 2% à moyen terme.

«Clairement, la BCE ne se laisse pas décourager par la série d'indicateurs décourageants au début du deuxième trimestre», et a «balayé les événements en Italie et les craintes de guerre commerciale», soulignent les économistes de HSBC.

Mario Draghi, attendu au tournant sur la situation politique dans son pays d'origine, a en effet minimisé les inquiétudes sur l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement eurosceptique et anti-austérité.

La panique sur les obligations italiennes en mai ? Un «épisode local», sans risque «significatif» de contagion, a-t-il évacué, alors que la dette italienne représente le quart de l'endettement public en zone euro.

Si certains économistes allemands voient déjà Rome abandonner à terme la monnaie unique, M. Draghi a assuré que l'euro était «irréversible» parce qu'«il est fort et que les gens le soutiennent».

«Nous ne devrions pas dramatiser à l'excès les changements de politique», a-t-il insisté, se refusant par ailleurs à commenter le début de fronde conservatrice contre la chancelière allemande Angela Merkel.