Confrontée à une accumulation de risques sur la croissance dans la zone euro, la Banque centrale européenne s'est accordé un sursis jeudi avant d'amorcer la fin de son vaste soutien à l'économie.

Comme attendu, l'institution de Francfort a maintenu ses taux directeurs au plus bas et confirmé jusqu'en septembre, et «au-delà si nécessaire», son programme de rachats de dettes publiques et privées, le «QE», à un rythme de 30 milliards d'euros par mois.

La BCE a aussi réaffirmé qu'elle relèverait ses taux «bien après» l'abandon du QE, une séquence désormais gravée dans le marbre, mais dont tout le monde attend de connaître le calendrier.

Toute l'attention se portera donc sur la conférence de presse à 8h30 (heure de Montréal) du président de l'institut, Mario Draghi, en quête d'indices sur le durcissement à venir de la politique monétaire : sera-t-il décidé en juin ? Faudra-t-il attendre juillet ?

«Cette réunion est juste une réunion de transition. Cela ne veut pas dire qu'elle sera facile», résume Louis Harreau, un économiste au Crédit Agricole, contacté par l'AFP.

Menace sur l'acier

Mario Draghi devrait brosser un tableau nuancé de la situation économique, qui reste favorable, mais sous la menace d'une escalade des tensions commerciales entre Washington et ses principaux partenaires.

Le gouvernement allemand a ainsi fait savoir dans la matinée qu'il s'attendait à ce que Donald Trump impose des droits de douane également à l'acier et l'aluminium européens à compter du 1er mai, au lieu de reconduire l'exemption actuelle.

Par ailleurs, la récente série d'indicateurs décevants dans la zone euro semble suggérer un possible coup de mou conjoncturel, d'autant que Berlin a légèrement abaissé mercredi ses prévisions de croissance pour cette année.

Dans ce contexte, la BCE devrait reporter les annonces concrètes soit au prochain rendez-vous de juin, soit à celui de juillet, et se contenter d'«ancrer les anticipations» de politique monétaire pour «éviter des réactions de marché trop brutales», ajoute M. Harreau.

La question la plus brûlante, pour les membres de la banque centrale de la zone euro, est de savoir comment concilier leurs projets de tour de vis monétaire avec une inflation encore languissante.

La hausse des prix, de 1,3% en mars, s'est légèrement accélérée, mais elle est restée calée à 1% en excluant les matières premières et l'énergie, soit les composantes les plus instables de cet indicateur.

Communication «acrobatique»

Le niveau idéal aux yeux de la BCE, une inflation légèrement inférieure à 2%, ne devrait être approché qu'en 2020 (1,7% prévu), selon ses dernières prévisions de mars.

L'un des membres de son directoire, Yves Mersch, a néanmoins réaffirmé mercredi que la BCE était «confiante» dans les chances de voir l'évolution des prix rentrer dans les clous, au cours d'un forum économique à Sofia.

Mais pendant que les «faucons» de Francfort laissent présager un resserrement des vannes du crédit, les «colombes» emmenées par Mario Draghi insistent sur les risques, donnant l'image d'une institution divisée.

La communication de la BCE, clé de sa crédibilité et de l'efficacité de ses mesures, promet de devenir «plus acrobatique» quand viendront les réunions de juin et de juillet, pronostique Gilles Moec, économiste chez Bank of America-Merrill Lynch.

L'institut monétaire ne pourra pas éternellement tergiverser et devra abandonner le QE d'ici à la fin de l'année «pour des raisons à la fois opérationnelles et politiques», précise le spécialiste.

Si la situation le permet, la BCE pourra annoncer au tournant de l'été la sortie graduelle de son programme de rachat de dettes, mais aussi préciser à quel moment elle relèvera ses taux, ce qu'elle n'a plus fait depuis 2011. La majorité des économistes tablent pour l'heure sur mi-2019 au plus tôt.