La Banque centrale européenne a engagé jeudi un virage monétaire en décidant de la réduction, largement anticipée, de son imposant programme anti-crise en zone euro, tout en laissant sans surprise ses taux inchangés.

Les rachats de dette publique et privée effectués au rythme de 60 milliards d'euros par mois, parvenant à échéance fin décembre 2017, vont être réduits à 30 milliards d'euros mensuels entre janvier et septembre 2018, conformément au scénario attendu par une majorité d'observateurs, a annoncé l'institution.

La BCE réaffirme en revanche se ménager la possibilité d'augmenter ce montant si les perspectives devaient s'assombrir en zone euro, et elle réaffirme qu'elle n'engagera de remontée de ses taux d'intérêt que «bien après» la fin des rachats d'actifs, précise-t-elle.

Les taux directeurs n'ont pas évolué jeudi, le principal taux de refinancement des banques, pour se procurer de l'argent frais, a été maintenu à zéro, tandis que les banques vont devoir continuer à payer pour déposer auprès de la BCE des liquidités dont elles n'ont pas d'utilité immédiate (taux de dépôt à -0,40%).

Ces annonces ont fait baisser l'euro, qui cotait 1,1760 dollar, tandis que la Bourse de Francfort a rebondi, l'indice Dax passant de +0,30% à +0,53% juste après le communiqué de la BCE.

Les regards se tournent désormais vers la conférence de presse du président de la BCE Mario Draghi qui va démarrer à 12h30 GMT (8h30 à Montréal).

Pas de «big bang»

Le banquier italien devrait justifier ce virage monétaire en axant son discours sur les données économiques. L'institut n'a cessé à ce jour de souligner que le programme de rachats de dette, baptisé «QE» (Quantitative easing), soutient l'offre de crédit des banques et stimule par ricochet à la fois la croissance et l'inflation.

Or, comme l'économie en zone euro enchaîne des chiffres encourageants de croissance et que le risque de déflation a été écarté, cela rend moins impérieux l'emploi d'un lourd arsenal monétaire.

La BCE reste cependant loin de crier victoire sur le terrain de l'inflation dans la région, dont le taux reste éloigné du niveau cible «proche mais inférieur» à 2% en glissement annuel.

L'inflation s'est élevée à 1,5% sur un an en septembre, comme en août, et elle est appelée à se tasser au creux de l'hiver en raison d'effets de base sur les prix de l'énergie.

Ce contexte nécessite aux yeux de la BCE de maintenir un cap expansif de sa politique, selon le message que M. Draghi devrait renouveler au long de la conférence de presse à venir.

«La décision du jour est un changement de cap mais avec la manière douce, pas un big-bang dans la politique monétaire de la BCE», a réagi Carsten Brzeski, économiste chez ING Diba.

Risque politique

Une raison plus technique a pu forcer la BCE à baisser la voilure, car après avoir acheté pour près de 2300 milliards d'euros d'obligations entre mars 2015 et fin 2017, l'institut risque d'ici quelques mois de ne plus trouver assez de titres à racheter sur le marché.

Entamé en septembre, le débat sur la stratégie de sortie des mesures de crise revêtait un caractère inédit pour la BCE.

La situation politique en zone euro reste tendue, avec la crise en Espagne et des élections à l'issue incertaine en Italie. Une fin trop brutale du soutien à l'économie pourrait faire ressurgir les craintes des investisseurs concernant la dette des pays fragiles.

Le taux de change de l'euro joue aussi un rôle important dans la prudence de la Banque centrale européenne, qui contraste avec le tour de vis monétaire plus précoce et plus ferme de la Réserve fédérale américaine.

En septembre, Mario Draghi avait clairement indiqué que le risque d'un euro trop fort le préoccupait, puisque le haut niveau de la monnaie unique pénalise les exportations tout en rendant les importations meilleur marché, ce qui peut finir par peser à la fois sur la croissance et l'inflation.