Les États-Unis tiennent à maintenir - et même à élargir - les dispositions «Buy America» qui obligent le gouvernement à s'approvisionner dans des entreprises dont les matériaux proviennent de l'intérieur de ses frontières. Mais ils veulent aussi faciliter le travail des entreprises américaines qui souhaitent signer des contrats avec le Canada et le Mexique.

Cette cible contradictoire est énoncée parmi les objectifs du nouvel Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) que le représentant au Commerce des États-Unis Robert Lighthizer a dévoilés plus tôt ce mois-ci. Cela laisse entendre que les Américains souhaitent avoir le beurre et l'argent du beurre.

Lawrence Herman, un avocat spécialisé en commerce international qui a représenté le Canada au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), trouve «scandaleux» le plan des États-Unis.

Ce ne sont donc peut-être pas les produits laitiers qui vont mettre le feu aux poudres dans les négociations. L'approvisionnement du gouvernement - le processus déterminant quelle entreprise obtiendra les contrats pour les ponts, les autoroutes et tous les autres projets d'infrastructure - devrait être un sujet litigieux auquel fera face le gouvernement libéral au cours de la renégociation de l'accord commercial qui commencera le mois prochain.

Les États-Unis ont deux sortes de politiques protectionnistes quant à l'approvisionnement, et, pour ajouter à la confusion, leurs noms sont quasi-identiques.

Il y a le «Buy American Act», qui est en vigueur depuis 1933, et les dispositions «Buy America», qui prennent différentes formes selon le type de projet et l'ampleur de l'implication du gouvernement.

Le Canada est exempté des dispositions «Buy American Act», en vertu de l'OMC et de la forme actuelle de l'ALENA, tant que le contrat a été offert par une agence ou un département américain et que la valeur est supérieure à certains seuils fixés.

L'élargissement des dispositions «Buy America» est ce qui semble être la cible des négociateurs américains. Il s'applique à l'approvisionnement des États et des gouvernements locaux - aussi appelés entités sous-fédérales - mais aussi aux services de transports et à tout projet local qui reçoit des fonds du gouvernement fédéral. Et ce dernier couvre la majorité des dépenses en infrastructure.

Les États-Unis ne prévoient aucune exception pour le Canada.

Un problème semblable était survenu quand l'ancienne administration de Barack Obama avait présenté son programme pour relancer l'économie après la crise financière majeure de 2009. En vertu de «L'American Recovery and Reinvestment Act», le fer, l'acier et les marchandises fabriquées utilisés dans les projets d'infrastructure devaient provenir des États-Unis.

Le Canada et les États-Unis s'étaient finalement entendus en 2010 pour permettre aux matériaux canadiens d'être utilisés dans certains projets dans 37 États. En retour, le Canada ouvrait sa frontière pour la majorité de ses propres projets locaux d'infrastructure.

Étant donné que Donald Trump a promis un programme d'infrastructure de mille milliards de dollars en campagne électorale, le maintien ou l'élargissement des dispositions «Buy America» pourraient donner de sérieux maux de tête aux fournisseurs canadiens.

Un groupe de sous-ministres ont fait part de leurs inquiétudes sur le sujet lorsqu'ils se sont rassemblés pour parler des relations intergouvernementales au mois de février, selon un document d'Infrastructure Canada qui a été obtenu par La Presse canadienne en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Le Canada a toutefois une carte dans sa manche. Le gouvernement libéral a déjà lancé son propre programme d'infrastructure, qui prévoit des dépenses de 81,2 milliards $ sur dix ans, alors que le plan promis par M.Trump est encore loin d'être mis en place.

Andrew Leslie, le secrétaire parlementaire pour les relations canado-américaines, a suggéré la semaine dernière que la Maison-Blanche devrait garder cet argument en tête.

«Je crois que nos amis et alliés feraient bien de regarder ce que nous construisons au Canada et ils voudraient peut-être participer à cela», a-t-il déclaré.

John Boscariol, un avocat chez McCarthy Tétrault, estime que cet argument est important en considérant les impacts de l'Accord économique et commercial global (AECG), qui ouvre l'approvisionnement canadien aux fournisseurs européens.

«Ces fournisseurs américains verront ces dépenses aller de l'avant et s'ils sentent qu'ils n'y ont pas accès, ou, plus spécifiquement, que les Européens y ont un accès préférentiel, je crois qu'ils feront pression sur le gouvernement Trump pour qu'il agisse là-dessus», a-t-il suggéré.

Le marché d'approvisionnement du Canada vaut plus de 200 milliards $, alors que le marché américain est évalué à 1,7 mille milliards $ US.

Il est certain que l'ouverture des marchés des deux pays offre un accès important aux deux pays, mais le Canada demeure limité, souligne M. Boscariol.

«Nous sommes beaucoup plus petits et les avantages que nous pouvons fournir sur l'approvisionnement ne sont certainement pas aussi importants que ce qu'offre le marché de l'approvisionnement aux États-Unis», a fait remarquer Lawrence Herman.

«C'est un problème, mais c'est un enjeu auquel on a toujours fait face.»

M. Herman conclut qu'une négociation, en pratique, s'avère beaucoup plus complexe que le principe du compromis.

«C'est un ensemble complexe et entrelacé. Ce que nous donnerons peut-être sur l'approvisionnement et ce que les États-Unis feront sur l'approvisionnement sera contrebalancé par une série d'autres aspects qui ne seront pas nécessairement dans le même secteur», a-t-il conclu.