Raymond Bachand vient d'être nommé négociateur du Québec en vue de la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). La Presse s'est entretenue avec l'ex-ministre des Finances et ancien PDG du Fonds de solidarité FTQ.

Quel sera votre rôle dans la négociation ?

La négociation est entre le gouvernement des États-Unis et celui du Canada. Les provinces ne sont pas aux tables. Mais il y a un travail préliminaire qui est en train de se faire, et pendant la négociation, les provinces seront là en débriefing. Il faut aussi continuer le travail d'informer les acteurs économiques, de se concerter avec le secteur culturel, agricole, etc. Il faut avoir des concertations particulières au Québec et aussi avec les autres provinces. Et un négociateur provincial peut aussi intervenir auprès des industriels et des autres acteurs américains. On a une fonction de sherpa et une grande liberté. Contrairement au négociateur fédéral qui a son vis-à-vis américain, et il ne va pas essayer de le contourner.

Quand commencera la négociation ?

Actuellement, avant l'expiration du délai de 90 jours [depuis la confirmation du représentant au Commerce Robert Lighthizer], c'est illégal pour Washington de négocier. Ce délai expire le 15 ou le 16 août. Parallèlement, le gouvernement américain doit déposer son projet de négociation au Congrès, et cela déclenche un avis de 30 jours. Les indications de Washington sont que cet avis de 30 jours sera donné au début de la semaine prochaine, alors les deux échéances vont arriver à peu près en même temps.

Comment se déroulera la négociation ?

Elle est dirigée par le négociateur en chef du Canada. Il y a une table centrale et des sous-tables par chapitre ou secteur de l'entente.

Quels sont les enjeux pour le Canada ?

Actuellement, l'attitude est de ne pas mettre sur la table nos sujets de négociation. Ce sont les Américains qui sont en demande. Dans toute négociation, il faut attendre de voir les demandes de la partie qui entreprend la négociation.

Quels arguments le Canada peut-il faire valoir ?

On a deux économies qui échangent plus de 600 milliards et qui sont en équilibre, surtout si on enlève l'énergie. Et ce dont on parle moins, c'est qu'il y a plus de 600 milliards US d'investissements transfrontaliers (environ 350 milliards US des États-Unis au Canada et 275 milliards US du Canada aux États-Unis).

Aux États-Unis, la force politique derrière la renégociation de l'ALENA, c'est que cette entente a fait fuir des emplois au Mexique. Qu'en pensez-vous ?

Si je parle à des leaders syndicaux, ils me disent que si ces emplois n'étaient pas au Mexique, ils seraient en Asie, mais que les entreprises ne seraient même plus ici. Ces emplois au Mexique ont renforcé l'intégration de la chaîne de valeur, que ce soit dans l'aéronautique ou l'automobile. Notre économie ne peut pas être totalement fermée parce qu'on ne serait plus compétitifs. On joue sur un marché mondial, et tous les concurrents disposent de capacités de fabrication où la main-d'oeuvre est moins chère. Et on conserve des emplois de qualité dans la conception ou dans l'assemblage final, par exemple, pour le cas de l'aéronautique.

Une des priorités des États-Unis est de revoir les règles d'origine. Qu'est-ce que ça veut dire ?

Pour être admissible au tarif zéro à l'intérieur de l'ALENA, un bien doit avoir un certain pourcentage de contenu nord-américain. On ne permet pas à une entreprise mexicaine de vendre un produit 100 $ s'il contient 99 $ de contenu chinois. Ce pourcentage n'a pas été revu depuis 25 ans, peut-être qu'il faut le réexaminer pour certains sous-secteurs. On a vu ce débat dans la négociation en vue du Partenariat transpacifique (PTP), et c'est normal qu'on le revoie pour l'ALENA.

Comment doit-on aborder l'économie numérique dans le cadre d'un accord comme l'ALENA ?

Il y a un chapitre sur le commerce électronique dans le PTP. Les Américains vont être en demande à ce sujet. Un pays comme le Canada doit se préoccuper de la fiscalité. Si le contenu canadien est taxé en TPS, il faut que le contenu américain le soit aussi pour que les gens se battent à armes égales. Il y a aussi le montant de la franchise pour les achats de commerce électronique. Le consommateur américain peut acheter à l'étranger pour 800 $ sans frais de douane. Au Canada, c'est 20 $. Les deux pays sont proches, alors il faut avoir des règles communes.

L'économie numérique, c'est aussi la culture. Que faire dans ce secteur ?

L'exception culturelle, M. Mulroney l'avait obtenue et en avait fait une condition de signature. Cela permet de faire des politiques pour soutenir le secteur culturel qui ne sont pas considérées comme des subventions illégales. Ça donne une liberté politique d'agir. Mais ça n'empêche pas le commerce électronique global. On ne peut pas l'empêcher, il faut juste le mettre sur une base équitable.

Êtes-vous optimiste pour cette négociation ?

On va être capables de moderniser le partenariat. Les États-Unis sont préoccupés par le commerce juste. C'est une préoccupation que j'ai moi aussi. Quand on commerce avec des pays qui n'ont pas les mêmes lois du travail ou environnementales, ce n'est pas équitable. Le président Trump n'a pas complètement tort quand il dit cela.