Les investisseurs peaufinent leurs stratégies en scrutant sondages, sites de paris en ligne ou réseaux sociaux dans l'attente de l'issue imprévisible du premier tour de la présidentielle française dont le principal enjeu, selon eux, est l'avenir de la zone euro.

«Qui va gouverner ? Ce n'est pas tellement la question. (...) Ce que l'on cherche à mesurer, c'est avant tout le risque sur l'euro», affirme à l'AFP Samy Chaar, économiste de la banque privée genevoise Lombard Odier.

Les acteurs sur les marchés redoutent une victoire de la candidate de l'extrême droite Marine Le Pen, qui prône une sortie de la monnaie européenne et de l'Union après référendum. Un scénario jugé très improbable mais qui, s'il se réalisait, serait de nature à fragiliser tout l'édifice européen.

Tous les sondages récents dessinent un quatuor de tête mené par la patronne du Front National, donnée qualifiée pour le deuxième tour de la présidentielle face au centriste Emmanuel Macron, ou au conservateur François Fillon ou même, le tribun de la gauche radicale Jean-Luc Melenchon, lui aussi antieuropéen et antimondialiste, avec des écarts qui se resserrent.

«Une remise en question de l'euro, deuxième devise la plus utilisée au monde en termes de flux commerciaux et d'épargne, constituerait un risque majeur pour les investisseurs internationaux et leurs clients», pointe M. Chaar.

«Les marchés aiment se faire peur», déplore Eric Brard, responsable mondial gestion taux chez le gestionnaire d'actifs Amundi. Mais jusqu'à présent, il n'y a «pas de mouvements financiers de défiance, ni de spéculation», assure cet expert.

C'est le résultat d'un travail de pédagogie mené par les banques, les analystes et la presse ces dernières semaines, soulignent beaucoup de financiers.

«Aux quatre coins du monde, les analystes décortiquent depuis plusieurs semaines les articles de la constitution française et les mécanismes électoraux français», raconte un courtier sous couvert d'anonymat.

Les investisseurs en déduisent que «même si Marine Le Pen était élue, il lui serait difficile d'appliquer sa politique» de sortie de l'euro en raison des barrières constitutionnelles et politiques, ajoute M. Chaar.

Prudence de rigueur

Fort de ce constat, «l'ambiance est calme dans les salles de marché, mais la prudence est de rigueur car on ne veut pas réitérer des épisodes comme le Brexit ou l'élection de Donald Trump», qui avaient surpris beaucoup d'observateurs, rapporte à l'AFP Christopher Dembik, responsable de la recherche économique chez Saxo Banque.

Côté investisseurs, un duel entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon est qualifié de «cygne noir», soit un événement fortement improbable mais dont la réalisation aurait un impact massif sur les marchés, selon M. Dembik.

Certains évoquent un risque de «bank run», terme désignant des retraits massifs de la part des clients des banques, et «une dégradation très rapide de la note (de la dette) française».

Benoist Lombard, associé-gérant de Witam MFO et président de la Chambre nationale des conseillers en gestion de patrimoine (CNCGP), s'inquiète d'une possible fuite des capitaux vers d'autres pays de la zone euro.

«Depuis quelque temps, les contrats d'assurance vie au Luxembourg intéressent fortement certains clients, soucieux que leurs placements restent investis en euros», constate auprès de l'AFP M. Lombard.

«Tout le monde se prépare»

Face à la difficulté d'établir des scénarios de victoire, la plupart des investisseurs et gestionnaires ont déjà pris leurs dispositions.

«Tout le monde se prépare un peu de la même manière, estime M. Chaar. Sans nécessairement changer la structure des portefeuilles, on met des airbags qui ne coûtent pas trop cher si tout va bien et qui peuvent rapporter si les choses se passent mal».

Certains investisseurs se tournent notamment vers des devises considérées comme fortes, telles que le franc suisse, d'autres souscrivent des contrats d'assurance pour se protéger face à de possibles remous sur les marchés financiers.

Mais «il y a une vraie lassitude parmi les investisseurs internationaux. Certains nous disent que c'est la dernière fois qu'ils investissent en euros car ils sont lassés de voir l'euro remis en cause» régulièrement, pointe un courtier.