En temps normal, cette nouvelle serait passée inaperçue dans l'avalanche de données économiques qui déferlent sur la planète chaque jour : les prix industriels en Chine, a-t-on appris jeudi, ont bondi de 7,8 % en février.

C'est une sixième hausse mensuelle consécutive et, surtout, la plus forte augmentation en huit ans et demi. Une bonne nouvelle, à première vue, indiquant qu'un renforcement de la demande industrielle est en cours dans la deuxième économie mondiale.

Mais cette donnée confirme aussi qu'un changement profond est en cours dans l'industrie chinoise : le temps où l'« usine du monde » fabriquait uniquement des « bébelles » pas chères tire à sa fin.

Le « made in China » monte en gamme et devient de plus en plus coûteux à produire. L'une des raisons : les salaires montent en flèche, dit une nouvelle étude.

+ 64 %

Au terme de ses nouvelles recherches, la firme Euromonitor fait ce constat étonnant : les travailleurs d'usines chinoises ont été payés l'an dernier, à quelques cents près, autant que leurs collègues au Portugal et en Afrique du Sud... et plus de cinq fois ce que reçoivent les ouvriers en Inde.

Le salaire horaire en Chine a atteint l'équivalent de 3,60 $US en 2016, soit un bond de 64 % en cinq ans, calculent le China Economic Review et le Financial Times.

Sur une plus longue période, les salaires manufacturiers ont connu une poussée encore plus spectaculaire : de 2005 à 2016, ils ont carrément triplé.

Le cheap labor... en Amérique latine

Pendant ce temps, en Amérique latine (à l'exception du Chili), les salaires horaires tendent à diminuer.

Durant la même période (2005 à 2016), les ouvriers au Brésil ont perdu 20 cents US sur leur revenu (de 2,90 à 2,70 $US/h) et ceux au Mexique, 10 cents (à 2,10 $US/h).

Les Chinois, eux, se rapprochent des Occidentaux, leur salaire équivalant à 70 % de la moyenne sur le continent européen, soutient Euromonitor.

En matière de rémunération, les écarts restent cependant énormes d'un pays à l'autre : en Suisse, un travailleur d'usine gagne en moyenne 42,50 $US l'heure comparativement à 0,70 $US pour un Indien.

L'économie chinoise, faut-il le rappeler, a progressé à une vitesse fulgurante depuis 20 ans, faisant grimper le coût de la vie et incitant les travailleurs à exiger de meilleures conditions.

Résultat : les coûts de main-d'oeuvre grimpent, et l'avantage concurrentiel chinois fond comme neige au soleil, surtout dans des secteurs traditionnels comme le textile. Patrick Artus, économiste pour la banque Natixis, évaluait l'an passé que le facteur « compétitivité-coût » en Chine a chuté de 30 % par rapport aux États-Unis en 20 ans et de 50 % par rapport à l'Union européenne.

Dans ce contexte, les entreprises chinoises multiplient les délocalisations, certaines optant pour des pays moins coûteux, dont le Sri Lanka, où le salaire moyen est de 50 cents US/h.

D'ailleurs, la banque australienne ANZ prédisait en 2015 que la Chine perdrait son titre « d'usine du monde » d'ici 10 à 15 ans au profit de ses voisins émergents de l'Asie du Sud-Est, comme la Birmanie, le Cambodge et le Laos.

Les Allemands regardent ailleurs

La flambée de la rémunération laisse croire que les attaques du président Donald Trump contre la concurrence chinoise, qui serait « la plus grande menace pour les travailleurs américains », est un argument dépassé.

La Fédération allemande de la machine-outil (VDMA) affirme d'ailleurs que, selon un récent sondage, ses membres s'intéressent de moins en moins à la Chine quand ils pensent à faire fabriquer à l'étranger. On regarde beaucoup plus près de chez soi, notamment vers la Pologne voisine, également bon marché et plus fiable.

Monter en gamme

La priorité des Chinois a longtemps été de fabriquer beaucoup et à petit prix. Mais les objectifs du gouvernement ont changé.

L'industrie chinoise vise maintenant une production d'une plus grande qualité et une meilleure productivité... même s'il faut payer de plus gros salaires ou automatiser la production.

Depuis 2013, la Chine est d'ailleurs le plus grand acheteur de robots et de machines « intelligentes » au monde, selon la Fédération internationale de la robotique.

Aussi, la Chambre de commerce de l'Union européenne en Chine (CCUEC) s'inquiète, dans un rapport dévoilé la semaine dernière, que Pékin finance de plus en plus la transformation de l'industrie vers les secteurs de pointe au détriment de concurrents occidentaux.

Le lobby européen dénonce des « centaines de milliards de dollars de subventions » allouées aux secteurs de la technologie : robotique, biopharmacie, télécommunications, aéronautique, etc.

Bref, la Chine manufacturière change. Et vite.  Place au « made in China 2.0 ».

Infographie La Presse