Le yuan est tombé mardi au plus bas depuis huit ans face à un dollar revigoré: un regain de pression qui bouscule les ambitions de Pékin et complique la tâche de la banque centrale chinoise face au risque d'une guerre commerciale transpacifique.

La banque centrale chinoise (PBOC) a fixé mardi à 6,8495 yuans pour un dollar, en baisse de 0,30% par rapport à la veille, le taux pivot autour duquel la devise est autorisée à fluctuer face au dollar (dans une fourchette de 2%). C'est un plus bas depuis septembre 2008. Il y a un mois, ce pivot s'établissait à 6,7 yuans.

Dans la foulée, la monnaie chinoise a accéléré son repli des derniers jours, chutant de 0,26% à la mi-journée dans les échanges intérieurs, avant de terminer à 6,8530 yuans pour un dollar (-0,18%).

Le régime communiste continue d'encadrer étroitement sa monnaie, mais ne peut faire abstraction des pressions du marché.

Le plongeon du renminbi (autre nom du yuan) s'explique avant tout par le vigoureux rebond du dollar après la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine et des objectifs du milliardaire.

«Pour l'instant, c'est surtout du côté du dollar que ça se passe», confirme à l'AFP Michael Every, analyste de Rabobank.

Si le billet vert reste dopé par le relèvement probable en décembre des taux d'intérêt par la Réserve fédérale américaine (Fed), les cambistes se concentrent également sur les ambitions du président élu en termes d'investissements publics et de réductions d'impôts, y voyant un gage de croissance.

Fuites de capitaux

Ironie de l'histoire: ces promesses font indirectement trébucher le yuan, alors que Donald Trump accusait volontiers Pékin de sous-évaluer à dessein le yuan pour doper ses exportations,et ce quand bien même la Chine intervient massivement au contraire pour soutenir sa devise.

«Le yuan aura largement de quoi descendre plus bas si le président Trump s'engage dans des plans de relance massifs et des mesures protectionnistes», commente Michael Every, prédisant une glissade à 7 yuans pour un dollar.

De quoi compliquer la donne pour la banque centrale chinoise.

Celle-ci joue déjà les équilibristes entre la relance d'une économie morose, la libéralisation progressive des marchés financiers et les efforts de «stabilisation» du yuan pour encourager son usage international.

Depuis une dévaluation de 5% orchestrée en août 2015 par le gouvernement, le renminbi reste sous très forte pression en raison de colossales fuites de capitaux hors du pays.

Or, avec l'élection de Donald Trump, la perspective de placements encore plus rémunérateurs en dollars pourrait accélérer l'hémorragie: outre le relèvement des taux d'intérêt américains, la perspective de dépenses publiques accrues, source d'inflation, fait déjà grimper nettement les taux d'emprunt des États-Unis.

«Beaucoup de capitaux peuvent encore quitter la Chine, via le remboursement de dettes libellées en dollars ou des achats d'actifs (à l'étranger)», estime Dariusz Kowalczyk, économiste du Crédit Agricole.

Et «la tendance sera exacerbée par l'inquiétude» sur l'impact des menaces protectionnistes de Donald Trump --qui a agité la perspective de droits de douane prohibitifs sur les importations chinoises, ajoute-t-il.

«Perte de confiance»

D'ores et déjà, «le volume d'échanges sur le yuan se maintient à un niveau élevé, ce qui coïncide habituellement avec un gonflement des sorties de capitaux», abonde Jason Daw, de la Société Générale.

Pékin pourrait donc durcir encore ses restrictions sur les mouvements de capitaux, quitte à étouffer ses ambitions affichées d'ouverture progressive des marchés financiers.

Certes, un yuan très affaibli offrirait un coup de pouce aux exportations chinoises, moteur économique crucial, à l'heure où celles-ci dégringolent.

Mais l'impact serait plus généralement dévastateur: «Une forte dépréciation du renminbi accroîtrait les fuites de capitaux et donc intensifierait la pression sur les réserves de changes», dans lesquelles la PBOC puise pour racheter des yuans et soutenir la devise, indique à l'AFP Liao Qun, économiste de Citic Bank.

Pékin pourrait donc intervenir plus activement pour atténuer la volatilité des échanges et freiner le repli du yuan, afin de ne pas compromettre son «internationalisation» en cours.

L'enjeu est de taille: le yuan a intégré en septembre l'unité de compte du Fonds monétaire international (FMI) et son utilisation gagne du terrain dans les transactions transfrontalières. «Mais si le marché perd confiance dans la devise, alors tout ce processus pourrait dérailler», tranche Liao Qun.